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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

elle ne cessait pourtant de penser à Frix, qui lui aussi pensait à elle plus souvent peut-être que Marioutete ne l’eût désiré.

III.

Lorsque Frix vit arriver l’été, il quitta la commune pour courir les fêtes dans le département des Landes, où la course est restée un amusement national. Il n’y a dans la partie méridionale de ce département si petit village qui n’ait son arène, et lorsque vient le jour de la fête patronale, les habitans se cotisent pour attirer chez eux les plus brillans écarteurs. La course finie, on distribue des prix à ceux qui se sont le plus distingués. Il est rare que le premier prix soit au-dessous de cent francs, même dans les plus petits villages, et il atteint souvent le chiffre de cinq cents francs. Frix commençait à être connu ; il avait surtout la réputation de ne pas se ménager, et d’attendre franchement les taureaux. Bien des fois il avait été renversé sanglant sur l’arène ; mais ces mésaventures ne le décourageaient pas : il se relevait toujours plus hardi. Pendant cette campagne, il avait attiré l’attention des commissaires à Dax, à Mont-de-Marsan, à Grenade, à Cazères. On lui avait mis sur la tête une douzaine de couronnes de laurier, et il avait reçu un millier de francs ; mais, aussi peu soucieux de la gloire que de l’argent, il avait coiffé de ses lauriers les servantes des cabarets où il avait dépensé une bonne partie de cet argent, gagné au péril de sa vie. En cela, il différait des autres écarteurs, qui, lorsqu’ils sont dans l’arène, se préoccupent peu de la gloire et des applaudissemens, mais beaucoup de certain petit champ, certaine petite vigne, certaine petite maison qu’ils espèrent gagner pendant l’été entre les cornes du taureau. Ce sont des gens positifs que ces chevaliers des arènes villageoises. Frix ne leur ressemblait pas : fidèle à ses habitudes de braconnier, il vivait au jour le jour.

Il venait d’assister à la fête d’Aire, petite ville située sur les bords de l’Adour, au pied d’un coteau pittoresque, où le maréchal Soult se mesura avec le duc de Wellington. La fête touchait à sa fin. Les écarteurs, réunis dans une auberge de la ville, fêtaient les vainqueurs et consolaient les vaincus. La table était encombrée de bouteilles. Les vins capiteux d’Armagnac et de Madiran déliaient les langues gasconnes. Quelques messieurs en habit noir, en bottes vernies, en gants blancs, déserteurs du bal communal et amateurs passionnés de ce genre de sport ; écoutaient les récits des écarteurs. Frix, nonchalamment couché sur une chaise renversée, ajoutait la fumée de sa cigarette au nuage qui remplissait la chambre. Silencieux, il pensait peut-être à Marioutete ou à Margaride, lorsqu’il se