Ces distributions cessèrent en 1792. Tout se tait alors : on n’entend plus que le canon de Valmy et les clameurs des factions déchaînées. Il paraît que les grands réformateurs du temps voulurent faire un crime aux membres de la société de leurs jetons de présence : ils répondirent en prouvant que chacun d’eux touchait par an une valeur de 108 livres. On leur demanda de faire le sacrifice de leurs pensions sur l’autel de la patrie ; ils répondirent qu’ils avaient pris, dès leur réunion l’engagement de n’en pas accepter. Enfin le 8 août 1793 la convention rendit un décret qui supprimait toutes les académies, La Société d’Agriculture essaya de se considérer comme n’étant pas comprise dans la mesure ; mais il fallut se soumettre. En 1798, quand la grande tourmente fut passée, elle se reconstitua, mais seulement sous le nom de Société d’Agriculture du département de la Seine.
Je raconterai peut-être plus tard la seconde moitié de l’histoire de la société. Pour le moment, il me suffit d’avoir montré ce qu’elle était avant 1789. Dans cette durée de trente-deux ans, et surtout dans les cinq années écoulées de 1785 à 1790, elle a rendu d’éclatans services. Le nord de la France ne lui doit sans doute pas toute sa richesse agricole, qui tient à des causes plus profondes ; mais elle en a été l’instrument le plus actif, elle a donné le signal de tous les perfectionnemens. Si elle a moins fait pour le reste du territoire, c’est le temps qui lui a manqué, puisqu’elle n’est devenue centrale qu’à la veille de disparaître. L’interruption n’a duré que cinq ans, de 1793 à 1798 ; mais, privée de ses membres les plus illustres immolés ou dispersés, réduite au seul département de la Seine, forcée de lutter obscurément contre la terrible diversion des guerres révolutionnaires et impériales, la société nouvelle n’était plus que l’ombre de l’ancienne. Il lui a fallu bien du temps pour renouer un à un les fils brisés. La France moderne aime à se figurer que tout en elle date de 1789. Voici un exemple du contraire. Le point de départ doit être reporté à quinze ans en arrière au moins. Pour ne parler que de l’agriculture, elle avait été en quelque sorte découverte dès le milieu du XVIIIe siècle. Le mouvement réparateur, sensible vers 1760, a toujours été en s’accélérant jusqu’en 1789, et s’est ralenti au contraire dans les années suivantes, pour ne reprendre véritablement qu’en 1815. L’accroissement rapide de la population sous Louis XVI aurait suffi pour en donner la preuve, quand même nous n’aurions pas eu de détails plus positifs, et on vient de voir que ces détails ne nous manquent pas.
LÉONCE DE LAVERGNE.