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violentes qui commencèrent la révolution. Parmi les faits observés se trouve une mortalité générale des poissons, étouffés sous la glace dans les étangs. Le 31 décembre 1788, le thermomètre de Réaumur descendit à 19 degrés. Les rivières furent gelées à deux ou trois pieds d’épaisseur. L’air était si chargé de givre, qu’on pouvait à peine respirer. Ce froid intense ne dura pas moins de deux mois, de la mi-novembre à la mi-janvier : il suffisait assurément pour expliquer la rareté des subsistances ; mais le peuple, suivant son usage, n’y voulut pas croire, et chercha toute sorte d’explications à un fait qui n’était que trop naturel. Parmi les superstitions qui eurent accès, en voici une assez singulière. On s’imagina à Strasbourg que le blé, devenu tout à coup vivant, s’envolait des greniers. Les mouches d’août ayant été cette année-là plus nombreuses qu’à l’ordinaire, on les ramassait par poignées dans les rues, en criant contre ceux qui entassaient les grains, et qui les laissaient s’envoler pour affamer le peuple. Un correspondant de la Société d’Agriculture, Hermann, fit afficher une réfutation énergique de ce préjugé.

Dès 1785, la société avait provoqué, sur divers points de la généralité de Paris, des réunions de cultivateurs pour converser entre eux sur des sujets agricoles. En 1788, elle voulut donner une nouvelle impulsion à ces assemblées de village, et désigna dans son sein des commissaires pour y assister. Broussonnet, Thouin, Parmentier, le marquis de Guerchy, acceptèrent cette mission et la remplirent avec zèle. Ainsi commença une institution qu’on croit généralement plus récente, celle des comices agricoles. Le nom même remonte à 1788. « Et quel nom pouvait mieux convenir à ces solennités champêtres, s’écrie avec enthousiasme l’abbé Lefèvre, que celui qui rappelle les assemblées où le peuple romain traitait des grands intérêts de l’état, où était appelée la classe la plus nombreuse, la plus utile, la plus honorée, celle qui renfermait les tribus rurales, et qui eut longtemps la plus heureuse influence sur la prospérité de la république ? » Cette évocation de Cincinnatus paraîtra peut-être un peu ambitieuse ; mais on avait alors pour l’agriculture toutes les ambitions.

À partir de ce moment, le nom des comices agricoles reparaît souvent dans les Mémoires de la société. Tantôt un fermier de la Brie, membre du comice agricole de Rozay, envoie un travail sur les échanges de parcelles, qui rencontraient alors comme de nos jours des difficultés fiscales, avec cette différence que le droit sur les échanges était perçu par les seigneurs, tandis qu’il l’est aujourd’hui par l’état, après avoir beaucoup grossi dans la transformation. Tantôt les membres du comice agricole de Montfort-l’Amaury demandent à la société d’ouvrir un concours sur les meilleurs moyens de détruire