Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme qui représentait dans son sein le droit rural. « Il fallait, dit Broussonnet dans un de ses rapports, pour s’occuper utilement de cet objet, une profonde connaissance des lois, la plus grande justesse d’esprit, et, ce qui est encore plus rare, le désir constant de faire le bien. Il fallait surtout un caractère de liberté indispensable dans un genre de recherches où l’on n’a que trop souvent à s’écarter des opinions reçues ; c’est M. Gerbier qui a fixé le choix de la compagnie. » Ce célèbre avocat, une des gloires les plus pures du barreau français, aurait en effet manqué à cette réunion des premiers hommes du temps dans tous les genres. « M. Gerbier, ajoute Broussonnet, appartenait à la société comme jurisconsulte ; elle a en outre trouvé en lui les qualités d’un agriculteur ; au mérite d’un goût vif et éclairé pour l’agriculture, il joignait le mérite encore plus précieux de s’être fait chérir du cultivateur. Depuis assez longtemps, il passait la plus grande partie de l’année dans une terre voisine de la capitale ; c’est à Franconville qu’il venait se distraire de ses occupations. Il s’occupait de tous les détails de l’économie domestique, et disait en riant qu’il n’avait pas trouvé d’abri plus sûr contre l’ennui que son poulailler. »

La société fit pour le remplacer un choix significatif : elle nomma un ami du ministre Turgot, Boncerf, inspecteur-général des apanages de M. le comte d’Artois, depuis Charles X, et très connu par un livre hardi sur les inconvéniens des droits féodaux, publié en 1776. Ce livre, qui contenait le tableau des mauvais effets des droits féodaux sur l’agriculture, avec le développement de tout un plan pour les racheter, avait été brûlé par arrêt du parlement, et l’auteur lui-même allait être poursuivi, quand le roi, sur la demande de Turgot, fit défendre au parlement d’aller plus loin. À la suite de cet éclat, le traité des Droits féodaux, traduit en plusieurs langues, avait eu en France plusieurs éditions, et Boncerf remplissait dans la maison d’un prince du sang d’honorables fonctions qui montrent combien ses idées avaient pris de faveur même à la cour. L’assemblée nationale allait bientôt les exécuter, en les exagérant, par les fameuses décisions du 4 août. L’éclat de cette réforme est resté, mais le nom du courageux précurseur qui l’avait préparée dans de justes limites s’est perdu. Boncerf fut assez mal récompensé plus tard d’avoir donné le signal de la chute du régime féodal. Il fut traduit devant le tribunal révolutionnaire en 1793, et n’échappa à l’échafaud que d’une voix. Il mourut l’année suivante, à l’âge de quarante-neuf ans. Parmi ses autres écrits, on peut citer un travail sur l’assainissement de la vallée d’Auge en Normandie, et un mémoire couronné en 1784 par l’académie de Châlons sur une question qui préoccupe plus que jamais beaucoup d’esprits : quelles