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moment, la littérature, si peu champêtre jusqu’alors, va changer de ton. En 1769, Delille obtiendra un succès de vogue par sa traduction des Géorgiques de Virgile. La même année paraîtra le poème des Saisons du marquis de Saint-Lambert, où l’auteur s’attache à montrer le bien que peut faire autour de lui un grand propriétaire résidant à la campagne. La prose rivalisera avec les vers pour seconder le mouvement. La Nouvelle Héloïse, si pleine de descriptions enthousiastes de ce qu’on appelait alors la nature, est précisément de 1761. En même temps Buffon écrit en style magnifique l’histoire des plus humbles animaux. Bernardin de Saint-Pierre se prépare à suivre ses traces ; les Etudes de la Nature verront le jour en 1784. Dans les arts, les bergeries de Boucher et les simples airs du Devin du Village ravissent la cour et la ville par un souvenir, si faux qu’il soit, de la vie rurale*. Il entre sans doute dans ce caprice de la mode beaucoup de recherche raffinée, et deux vers du pauvre Burns, le poète-laboureur de l’Ecosse, contiendront plus de véritable poésie champêtre que tout cet étalage. « Que pensez-vous de l’Histoire naturelle de Buffon ? demandait-on un jour à Voltaire. — Pas si naturelle, » répondit-il. Mais nous sommes ainsi faits que nous ne savons rien prendre simplement ; il nous faut partout de l’esprit, de l’imagination, de l’élégance, une forme exquise et savante, un tour à la fois classique et original, antique et neuf, qui nous mène à la réalité par l’idéal.

Pendant l’année qui suit sa fondation, la société se montre animée d’un véritable zèle ; elle se réunit très exactement, entend la lecture de plusieurs mémoires et prend plusieurs décisions utiles. C’est le marquis de Turbilly qui est l’âme de ces réunions et qui remplit les séances de ses lectures. Parmi les votes, un des plus importans porte sur l’unité des mesures. La société étant entrée en correspondance avec les compagnies du même genre créées en même temps dans les généralités de Tours, de Limoges, de Lyon, d’Auvergne, d’Orléans, de Rouen et de Soissons, on n’avait pas tardé à sentir l’embarras qui résulterait pour ces communications de la variété des poids et mesures ; en conséquence, la société décida qu’elle n’emploierait à l’avenir que l’arpent de 100 perches de 20 pieds de roi pour la mesure des terres, et, pour les grains, le setier de Paris, pesant 240 livres, poids de marc, et elle engagea les autres sociétés à en faire autant dans leurs publications. On voit que l’unité des poids et mesures préoccupait, bien avant la révolution, tous les hommes sensés. On peut même dire, sans manquer de respect aux créateurs du système métrique, que l’ancien arpent valait beaucoup mieux comme unité agraire que notre hectare actuel, qui est trop grand, et qu’il aurait été plus facilement adopté par les