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combattant contre nous. Hurdeo-Buksh ne nie rien de tout cela, mais nous n’avons, selon lui, rien à redouter, car Jussah-Singh est un Rajpoute et s’est engagé vis-à-vis de lui sur son honneur. D’ailleurs il faut, vaille que vaille, nous en aller. Lucknow une fois pris, on enverra de tous côtés les aumils avec des détachemens, et toute issue alors nous sera fermée… Puisque la question est ainsi posée, nous allons essayer d’entrer en communication avec le général Havelock, pour savoir de lui, après lui avoir exposé notre situation désespérée, quelle voie nous devons préférer, de celles qui peuvent nous conduire vers lui. Seetah-Ram se charge de notre lettre, écrite par Probyn en caractères grecs.

« 20 août. — Seetah-Ram est revenu ce soir de Cawnpore, mais, à notre amère déception, sans aucune réponse du général Havelock pour Probyn. Arrivé au camp, notre messager s’est remis aux mains de quelques Sikhs, qui l’ont conduit à la tente du général. Sa lettre rendue, on lui a dit d’attendre la réponse. Vingt-quatre heures s’écoulèrent ensuite sans qu’il entendit parler de rien. Le second jour, la colonne partit pour Bithoor, et Seetah-Ram suivit la colonne, mêlé aux domestiques du général Havelock. Vers le milieu du jour, il y eut une bataille où les insurgés furent battus avec des pertes sensibles. Après l’action, à laquelle il avait assisté, notre messager essaya de se rappeler au général. Celui-ci était trop affairé pour prendre garde à lui. Le lendemain, nouvelle marche et nouveau combat près de Shedrajpore, après quoi ordre de se retirer vers Cawnpore. Seetah-Ram, désespérant d’obtenir une réponse, est parti alors pour venir nous retrouver. Havelock étant un de mes vieux amis, je me décide à lui écrire moi-même. Seetah-Ram se charge de cette seconde missive.

« 21 août. — La petite fille du pauvre Probyn est morte ce matin. Depuis nos privations et nos misères de Rungepoorah, cette enfant n’a fait que languir et s’affaiblir de jour en jour malgré les soins incessans de sa malheureuse mère. Encore une victime de ces tristes agitations ! Laissée à son développement naturel, cette enfant devait vivre et prospérer ; toutes chances étaient pour elle. À mon arrivée à Dhurumpore, rien de plus beau, de plus frais, de plus sain que cette jolie enfant, dont les magnifiques cheveux tombaient à grosses boucles autour de sa tête rose… La nuit venue, nous l’avons portée auprès de son petit frère. Je n’oublierai jamais l’agonie de ses parens. C’est elle qu’ils aimaient le mieux.

« Hurdeo-Buksh nous apporte une proclamation des subahdars commandant les insurgés de Dehli et de Lucknow adressée à tous les grands propriétaires de l’Oude. On reproche à ceux-ci de n’avoir pas fait cause commune avec l’armée. Les subahdars croient en conséquence devoir les avertir du projet formé par les Anglais, qui est, après avoir étouffé l’insurrection militaire, de rassembler tous les hommes de haute caste et tous les balayeurs du pays à un énorme repas, où on les forcera de manger ensemble. Pour éviter cette effroyable catastrophe, qui leur ferait perdre leur caste, ils doivent donc se soulever à leur tour et provoquer de tous côtés l’extermination des Européens. — Je sais tout comme vous, ajoute Hurdeo-Buksh, que ce sont là pures extravagances et absurdités palpables ; mais les masses croient à ces sottises, et l’exaspération des classes inférieures augmente à vue d’œil. On m’en veut de vous donner asile, et cette mauvaise disposition