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rien à espérer que du ciel et de Hurdeo-Buksh, si à force de promesses on pouvait le gagner à leur cause. M. Probyn tenta un nouvel essai… par écrit, car le prudent zemindar ne voulait plus voir ses protégés ; mais il échoua comme devant. Deux jours plus tard, les assiégés tenaient encore, grâce à des prodiges d’héroïsme. Déjà le nombre des combattans était bien réduit. La veuve de l’un des morts, un sergent d’artillerie, avait pris courageusement la place de son mari, et s’était fait tuer au même poste, non sans avoir abattu plusieurs des rebelles du haut du bastion où elle se tenait, le rifle à l’épaule. Les survivans combattaient avec la sombre énergie du désespoir et la triste certitude de combattre en vain. L’ennemi, repoussé dans plusieurs assauts, commençait à miner les remparts et avait ainsi pratiqué déjà une large brèche, sur laquelle vint se faire tuer, à la tête d’une colonne de Pathans, ce même Mooltan-Khan, qu’on a vu quinze jours auparavant se dévouer au salut de M. Edwards. À partir du 24, plus de nouvelles directes : la canonnade seule, continuant sans interruption pendant deux longues journées, disait que les Anglais tenaient encore ; le 27 au matin, elle cessa tout à coup. « Nous pensâmes tous, dit M. Edwards, que la place venait d’être enlevée d’assaut, et nous ne pûmes que nous renvoyer l’un à l’autre un morne regard d’angoisse : nous étions convaincus qu’en ce moment même nos pauvres amis, hommes, femmes, enfans, étaient sous le couteau d’un ennemi altéré de sang et inaccessible à toute pitié. »

Deux ou trois heures s’écoulèrent ainsi dans une sombre stupeur. Tout à coup le bruit de la grosse artillerie vibre de nouveau. Les détonations sont rapides, irrégulières ; elles retentissent dans une autre direction que celle des jours précédens, et toujours sur les bords du Gange, mais bien plus bas que Futtehghur. Qu’est-il donc arrivé d’inattendu ?… Les fugitifs de Russowrah ne l’apprirent complètement que quelques semaines après. Voici ce qui se passait à l’heure même.

Dès le début du siège, les défenseurs de Futtehghur avaient amarré au pied du fort trois grandes barques destinées à une tentative suprême, quand tout autre espoir serait perdu. Le 26 au soir, la place étant déclarée intenable, on fit les préparatifs du départ, qu’il fallait effectuer de nuit afin d’être hors de vue à l’aurore, et d’avoir une certaine avance sur l’ennemi, s’il essayait de poursuivre les fugitifs. Par malheur, encombrés de femmes, d’enfans, de bagages, les chefs de la petite garnison perdirent un temps précieux. Quand le jour parut, les trois barques venaient à peine de démarrer et voguaient lentement sur des eaux trop basses. Au premier signal d’alarme, parti du camp des assiégeans, elles se rapprochèrent de la rive opposée à celle qu’elles venaient de quitter ;