Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

providentielle des premiers bruits de l’insurrection qui venait d’éclater, le 5 juin, parmi les troupes du général Wheeler. Ils voulurent alors partir pour Agra ; mais les routes, dans cette direction, étaient obstruées par les colonnes rebelles, qui, de vingt points différens, convergeaient vers Delhi. Dès lors il ne restait d’autre alternative que de se rendre aux conseils de M. Probyn. Le 10 juin, dans l’après-midi, M. Edwards et les Donald quittèrent Futtehghur, où ils avaient pris quarante-huit heures de repos, et le même soir, traversant le Gange, ils arrivaient à Dhurumpore, la forteresse de Hurdeo-Buksh, déjà encombrée d’Européens fugitifs. Ceux-ci, établis là depuis plusieurs jours, commençaient à s’y trouver assez mal et assez peu en sûreté. Aussi, en apprenant les marques de dévouement données par la garnison de Futtehghur, projetaient-ils déjà de rentrer en masse dans cette ville, et de s’aller mettre sous la protection du brave et fidèle 10e, nonobstant les avis réitérés de M. Probyn, qui, mieux instruit qu’eux, ne se fiait que de bonne sorte aux belles protestations et aux sermens de ces inconstans et perfides soldats. Ni les sages conseils, ni l’exemple même du collecteur, qui était venu se placer sous la sauvegarde du bienveillant zemindar Hurdeo-Buksh, ne réussirent à les convaincre. Les Européens de Dhurumpore partirent en masse dès le lendemain pour rentrer à Futtehghur, et les Donald se laissèrent entraîner par eux. Quant à M. Edwards, une inspiration soudaine, le retint au moment même du départ. Il fit demander à Hurdeo-Buksh, par l’agent de ce dernier, s’il voudrait bien le comprendre dans les promesses de protection sur lesquelles comptait M. Probyn, et, cordialement invité par le zemindar à ne pas quitter Dhurumpore, il tint bon, malgré les lettres qui arrivaient de Futtehghur, et qui l’engageaient toutes à y rentrer.

Il était depuis trois jours seulement dans son nouvel asile, quand Wuzeer-Singh, son fidèle péon, dont il n’avait plus entendu parler depuis le tragique épisode de Shumshabad, vint l’y rejoindre bien à l’improviste. Outre l’argent confié à sa probité et qui était resté intact dans sa ceinture, outre le fusil de son maître, dépôt plus précieux encore, Wuzeer-Singh lui apportait le récit de tout ce qui s’était passé à Shumshabad après leur séparation forcée. Témoin de l’assassinat de M. Gibson, il avait vu son cadavre mutilé rester, après le départ des meurtriers, comme une vile charogne à la porte même de la demeure du nawab. De tous les villages environnans, les paysans accouraient en foule pour en repaître leurs yeux. Cette vue leur arrachait des cris de joie, et ils se réjouissaient là, disait Wuzeer-Singh, « comme à une cérémonie nuptiale. » A la nuit, deux balayeurs, de la caste immonde par excellence, étaient venus prendre le cadavre, qu’ils avaient traîné avec des crocs jusque