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humains. Il fallut donc revenir sur ses pas, et en longeant les murs de la maison qu’il venait d’abandonner, M. Edwards eut la douleur de la voir au pillage. Ses gens eux-mêmes s’étaient jetés tout des premiers sur le butin offert à leur convoitise, et un des cipayes d’ordonnance du collecteur, — celui qu’il regardait comme un des plus dévoués, — était déjà paré de la brillante épée que son maître portait les jours de cérémonie. Quant à celui-ci, les seuls objets qu’il avait pu emporter dans sa fuite précipitée étaient, avec 150 roupies[1] cachées dans la ceinture de ses deux serviteurs indigènes, un habit de rechange (qui lui fut volé quelques heures après par le groom auquel il l’avait donné en garde), une bible petit format, et une bourse particulièrement chère qu’on venait de lui envoyer d’Angleterre pour l’anniversaire de sa naissance (a darling may’s purse, dit-il avec une sorte de tendresse), plus l’inévitable montre et le non moins inévitable revolver.

À peine entrés, après une heure de route accomplie sans encombre, dans la cour murée de Shikooporah, et comme ils venaient de mettre pied à terre, les fugitifs virent venir à eux le frère du cheik, chargé de leur notifier respectueusement, mais en termes absolus, qu’il fallait ou se séparer ou pousser plus loin. On n’avait promis abri qu’à M. Edwards : s’il faisait décidément cause commune avec ses compatriotes, trop nombreux pour qu’on pût les recevoir sans danger si près de la ville en révolte, on les cacherait, eux et lui, mais dans un des villages du cheik, situé à dix-huit milles plus loin, et sur la rive gauche du Gange. Résolus à ne se point séparer, les quatre Anglais[2] n’avaient plus qu’à obéir. Ils repartirent incontinent, et bien leur en prit. Une heure ou deux après leur départ, quelques cavaliers cipayes, arrivés de Bareilly avec le détachement de l’infanterie insurgée, ventaient, à la recherche du collecteur, faire une descente chez le bienfaisant propriétaire qu’on leur avait signalé comme l’ayant pris sous sa protection.

Nos Anglais cependant, guidés par un des cheiks, traversaient par les routes les moins frayées le pays déjà soulevé. Dans tous les villages où ils passaient, les paysans étaient sur pied, armés de sabres et de piques. Avertis d’avance par précaution, ces fidèles tenanciers accueillaient sans aucunes manifestations hostiles, et dans un

  1. 375 francs environ.
  2. M. Stewart et sa famille n’avaient pu suivre M. Edwards dans sa fuite. Ils ne disposaient que d’une voiture légère, une espèce de tilbury qui ne pouvait servir que sur les routes régulières. Réduits en conséquence à se cacher près de Budaon, ils parvinrent à y demeurer impunément, ce qui s’explique par cette circonstance, que c’étaient des eurasians, et que leur teint, aussi brun que celui des indigènes, ne les désignait pas à la vengeance ou aux trahisons populaires.