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du bronze semble en contradiction formelle avec tout ce qui n’est pas net et résolument senti.

Parmi les œuvres qui, à défaut de mérite absolu, ont du moins une valeur relative et un caractère conforme aux lois essentielles de la statuaire, on peut citer la Tendresse maternelle de M. Gruyère, le Moise sauvé des eaux de M. Allasseur, la Lyssia de M. Lepère et le Semeur d’ivraie de M. Valette. Sans doute, ces divers groupes ou statues et quelques autres signés des noms de MM. Garnier, Millet et Lanzirotti ne se distinguent pas très ouvertement par l’originalité du sentiment ou de la manière ; mais on n’y reconnaît pas non plus ces partis-pris de servilité que nous accusions tout à l’heure, cette volonté obstinée d’abdiquer toute indépendance personnelle pour reproduire, comme le fait M. Klagmann entre autres, les types et les formes d’expression appartenant aux siècles passés.

Si, au point de vue de l’invention et de l’élévation du style, les travaux qui figurent au Salon n’autorisent que de loin en loin les éloges, en revanche l’exposition est assez riche dans le domaine de l’imitation pure, dans la sculpture de portrait. On sait au reste avec quelle supériorité l’école française a traité de tout temps ce genre de sculpture, et quels innombrables monumens subsistent encore de l’habileté de nos anciens portraitistes, depuis les figures du XIIIe siècle qui ornent les portails de la cathédrale de Chartres jusqu’aux bustes sculptés par Houdon. Les artistes de notre siècle, il est vrai, se sont d’abord écartés quelque peu de ces habitudes traditionnelles ; sauf les bustes et les médaillons modelés par David et quelques morceaux de la main de Pradier, les spécimens contemporains sont peu nombreux d’un art qui pendant si longtemps avait été pratiqué dans notre pays avec plus de succès que dans aucun autre. Il semble aujourd’hui que la tradition se renoue et que notre école rentre pour ainsi dire en possession de sa vieille aptitude, car les bustes habilement exécutés sont nombreux au Salon ; quelques-uns même pourraient être rapprochés sans désavantage des meilleurs ouvrages de nos maîtres. En est-il beaucoup parmi ceux-ci qui eussent désavoué le buste de femme, le buste d’Ary Scheffer, et surtout celui de M. Henriquel-Dupont, sculptés par M. Cavelier avec une science si sûre de la forme et une intelligence si fine de la physionomie ? M. Clésinger lui-même, ouvertement coupable d’affectation et de faux goût dans ses statues, n’a-t-il pas prouvé, en faisant le portrait d’une Romaine transtévérine, que son ciseau savait être parfois habile sans ostentation et véridique sans pauvreté de style ? Pourquoi faut-il que le progrès qu’atteste cette tête de Romaine se trouve en quelque façon démenti par une malencontreuse Napolitaine des montagnes, dont la grâce factice et l’expression