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dans le style général, la grandeur pathétique et l’énergie : on dirait que l’artiste s’est trouvé un peu dépaysé en face des conditions, assez nouvelles pour lui, qu’il s’agissait de remplir. La tête de la Sapho est d’un caractère indécis : les bras, finement modelés d’ailleurs, se crispent avec une sorte de passion timide et d’ostentation en même temps ; il semble que dans cette figure plutôt agréable que puissante tout procède d’une agitation voulue, tout fasse effort pour exprimer le désespoir. Nous ne croyons pas que les sujets violens puissent convenir au talent de M. Loison, talent délicat comme celui de M. Moreau, et dont le sens et la valeur se définissent bien mieux au Salon dans une statuette de Jeune Fille portant un vase sur l’épaule que dans cette statue de Sapho.

Le Moissonneur de M. Gumery appartient à la même école, accuse à peu près les mêmes tendances que les travaux de MM. Moreau et Loison. Peut-être y a-t-il dans cette figure de jeune garçon au visage gracieusement viril, aux formes sveltes, mais non dépourvues de force, quelque chose de plus franc et de plus original que dans les figures de jeunes filles sculptées par les deux artistes que nous venons de nommer. En tout cas, M. Gumery a de commun avec eux l’élégance du style, le goût des vérités choisies. Son Moissonneur est, à cause de cela même, une des meilleures statues de l’exposition, et si l’on ne peut y admirer des qualités très hautes, on ne saurait y méconnaître des intentions heureuses et une manière ingénieuse sans subtilité. Nous regrettons qu’un autre ouvrage de M. Gumery, la Fontaine de l’Amour, soit de nature à diminuer un peu la confiance que nous inspirait ce talent. Ici en effet la recherche de la grâce aboutit à l’affectation, la finesse à l’exiguïté du style, et la préoccupation de l’élégance à une coquetterie de madrigal. Dans un ordre de sujets différent et sous des formes tout autres, cette jeune fille qui se détourne en souriant pour préserver son visage de l’eau qu’un petit Amour lui jette manque aussi bien de naturel et satisfait aussi peu aux conditions de la statuaire que la Chute des Feuilles sculptée par M. Schroder, ou la Résignation par M. Chatrousse. Ce n’est pas d’ailleurs que ces deux dernières compositions soient sans mérite à quelques égards ; mais elles procèdent l’une et l’autre d’inspirations si parfaitement quintessenciées, que les moyens ordinaires de l’art se trouvent à peu près réduits ici à l’état d’intentions littéraires, on dirait presque d’abstractions métaphysiques. À force de viser à l’expression spiritualiste, Ary Scheffer est tombé quelquefois dans des erreurs pareilles ; mais les méprises de cette sorte sont plus graves encore lorsque c’est un sculpteur qui les commet, parce que le ciseau ne saurait en aucun cas s’exempter de la précision matérielle, et que l’inflexibilité même du marbre ou