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agréable composition, l’Hosanna de M. Roux, talent chaste et fin auquel il ne manque peut-être pour entrer décidément en faveur qu’une fécondité plus continue. Il nous faut citer encore une gracieuse figure de femme, la Rêverie, peinte par M. Aubert dans le goût antique, mais un peu aussi dans le goût de MM. Gérôme et Hamon, les Espagnols malades de M. Guillaume, et les Marais-Pontins de M. Rodolphe Lehmann, tableaux dont le tort principal est d’avoir eu pour précédent la Mal’aria de M. Hébert, enfin, dans un tout autre ordre de sujets, le Marabout de Sidi-Brahim, fait d’armes héroïque reproduit par M. Devilly avec une verve remarquable, mais non sans quelque exagération parfois, non sans quelque emportement du pinceau.

Le tableau de M. Devilly nous servira de transition entre les compositions de différens genres que nous avons examinées jusqu’ici et les scènes exclusivement empruntées aux pays ou aux mœurs de l’Orient. On sait que dans l’art contemporain une place considérable appartient à quelques peintres qui ont été chercher en Asie ou en Afrique des modèles et des inspirations. L’un des plus distingués d’entre eux, qui est aussi un écrivain d’un rare mérite, M. Fromentin, résumait, il y a peu de temps, ici même, les développemens successifs de « ce que la critique moderne, disait-il, a nommé la peinture orientale, » et il en personnifiait les progrès dans trois talens diversement caractéristiques, — Marilhat, M. Decamps et M. Delacroix[1]. Ce sont ces maîtres en effet qui ont ouvert la voie, ou plutôt ils l’ont si bien parcourue d’un bout à l’autre que ceux qui y marchent après eux inclinent tous plus ou moins, malgré leurs efforts et leur volonté d’indépendance, vers des traces qu’ils retrouvent à chaque pas. M. Fromentin lui-même, quelles que soient d’ailleurs ses aptitudes et sa clairvoyance personnelles, réussit-il pleinement à s’affranchir des souvenirs et de l’autorité de M. Delacroix ? Ces préoccupations involontaires sont, il est vrai, de moins en moins sensibles dans les œuvres de M. Fromentin, et les progrès accomplis par l’artiste depuis quelques années nous offrent un éloquent témoignage des ressources sérieuses de son talent. L’Audience chez un khalifat se distingue par la largeur de l’aspect, par une ordonnance des plus heureuses, et si les Bateleurs nègres, une Rue à El-Aghouat, n’ont pas tout à fait la même importance, ces toiles n’en laissent pas moins pressentir l’élévation de la pensée et la singulière délicatesse du style qu’attestent les écrits de M. Fromentin.

Il faudrait presque reprocher l’excès de la netteté dans le dessin

  1. Une Année dans le Sahel, livraison du 1er décembre 1858.