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tableaux portent l’empreinte d’un talent véritablement supérieur. Hormis les beaux portraits peints par M. Hippolyte Flandrin, œuvres appartenant d’ailleurs à un tout autre ordre d’art et de doctrines pittoresques, y a-t-il parmi toutes les toiles exposées rien qui accuse aussi ouvertement l’intelligence et la main d’un peintre ? Les disciples de la triste école qui s’intitule réaliste ne manqueront pas de réclamer comme un des leurs le peintre de ces scènes rustiques, et peut-être, à l’aspect des paysans qu’a représentés M. Breton, une partie du public prendra-t-elle d’abord pour la confirmation du système de M. Courbet ce qui en est au contraire le plus concluant démenti. Il y a en effet entre les tableaux de l’école réaliste et les tableaux de M. Breton la différence qui existe entre l’effigie brute du fait et la vérité poétique, entre la transcription littérale d’un patois et le style d’une églogue. Personne, à coup sûr, n’attribuera le même genre d’exactitude aux scènes populaires photographiées pour ainsi dire par la plume de M. Henry Monnier et aux scènes champêtres que la plume de George Sand a décrites. Les peintures de M. Breton peuvent être rapprochées de celles-ci ; c’est dans la classe de celles-là qu’il faut reléguer les violens essais des sectaires du réalisme. Ne saurait-on, par exemple, en face du Rappel des Glaneuses, avoir présent à l’esprit le début de la Mare au Diable, et retrouver dans l’œuvre peinte quelque chose de cette ample harmonie, de ce calme majestueux de la nature que l’écrivain a su traduire en quelques pages excellentes ? C’est la première fois d’ailleurs que le pinceau réussit à représenter des villageois de notre pays sans en calomnier les types ni les idéaliser outre mesure ; c’est la première fois qu’il nous les montre dans leur vrai cadre, sans coquetterie comme sans pauvreté de style, sans fausse noblesse comme sans laideur outrée. Nous avions jusqu’ici bien des portraits tracés avec plus ou moins d’habileté, bien des scènes rustiques empruntées aux mœurs de nos provinces ; mais la fidélité de ces portraits ne dépassait pas les limites d’une ressemblance toute physique. Les costumes, les détails pittoresques, étaient soigneusement étudiés et transcrits : l’esprit intime, le côté poétique des sujets ne nous étaient pas révélés. Aussi véridique dans la traduction du fait matériel qu’aucun de ses devanciers, M. Breton sait de plus définir la signification des choses, renouveler et compléter par l’expression de son propre sentiment les émotions que nous avons pu éprouver nous-mêmes en face de la nature, en un mot, nous expliquer ce que nous avons vu, et dans quel sens il fallait le voir. Peut-être, — toute proportion gardée entre la diversité des manières et surtout des modèles, — M. Breton est-il appelé à devenir le Léopold Robert de nos campagnes. C’est là une belle place à prendre : puisse-t-il se rendre tout à fait digne de l’occuper !