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Jeanne d’Arc, telle qu’il nous la montre, n’est ni une pythonisse en délire, ni une muse violemment inspirée ; c’est une pauvre fille, une enfant presque, à demi exaltée, à demi terrifiée par les ordres miraculeux qu’elle reçoit. Elle relève la tête et regarde le ciel comme pour protester hautement de son obéissance, mais peut-être aussi pour puiser la force d’obéir sans regret et d’accomplir jusqu’au bout sa mission. Il y a dans cette expression complexe, dans ce mélange d’exaltation et d’étonnement craintif, quelque chose d’imprévu et de bien senti, quoiqu’un coloris un peu lourd, une méthode d’exécution un peu froide, desservent et contredisent jusqu’à un certain point l’intention morale du tableau. À quoi bon insister toutefois ? Comment avoir le triste courage de donner des avis à qui ne peut plus les entendre, de reprocher à cette main pour jamais inactive ses dernières défaillances ? Mieux vaut en saluer les derniers efforts et accepter avec une pieuse sympathie les reliques d’un talent que la mort vient de consacrer.

La génération à laquelle appartenait M. Bénouville compte plusieurs artistes dont l’habileté, incomplète à quelques égards, résume cependant aujourd’hui les espérances les plus sérieuses de notre école : artistes zélés pour le bien, mais indécis encore quant aux moyens de le formuler ; talens courageux au fond, mais en apparence un peu dépourvus de volonté ferme et de fixité. M. Cabanel est un de ces talens que semblent travailler à la fois l’esprit d’indépendance et le doute. Une Mort de Moïse, qu’il envoyait de Rome il y a quelques années, un remarquable portrait de femme exposé en 1853, ses peintures à l’Hôtel-de-Ville et les tableaux de sa main qui figuraient à l’exposition universelle, accusent, à travers beaucoup de savoir et de goût, des hésitations, des contradictions même, qui ne permettent pas de prononcer sur les caractères de ses aspirations et de son style un jugement définitif. Le dernier tableau de M. Cabanel, la Veuve du maître de chapelle, ne peut qu’augmenter notre embarras sur ce point. C’est assurément un ouvrage distingué, mais peu significatif encore, une peinture agréable, mais d’un agrément assez vague, où toutes les conditions de l’art sont recherchées, sans qu’aucune qualité prédomine et s’impose ouvertement à l’attention. L’artiste capable de produire un pareil tableau est sans contredit un homme habile, une intelligence pleine de ressources. M. Cabanel pourtant a-t-il donné toute la mesure de son talent ? Il lui reste non pas à prouver son expérience technique et la souplesse de sa pensée, mais à se défier davantage de cette souplesse même, à dégager dans une œuvre franchement personnelle l’originalité de sa manière et de ses tendances.

M. Gendron a des allures moins sceptiques à quelques égards. Il possède une qualité très positive, l’instinct de la grâce dans la composition