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Et cette grande parole s’applique aux peuples comme aux individus. Les Celtes aussi bien que les Grecs, les Germains et les Slaves comme les Romains, appartenaient à cette race âryenne, à cette race asiatique qui s’écoula sur l’Europe par couches successives, avec ses aptitudes variées, son esprit d’entreprise, son imagination mobile et ses instincts rêveurs. Établis de bonne heure sur les belles plages qu’ils devaient illustrer, les Hellènes avaient eu le temps de développer leur civilisation, d’atteindre à la perfection dans les arts et dans la poésie, et même d’arriver à l’âge de la décadence avant que le flot des migrations eût cessé de jeter derrière eux et de pousser lentement à travers les forêts de l’Europe septentrionale, sur les îles sauvages et lointaines, d’autres peuples d’origine aryenne, grossiers et turbulens. Quand les espaces vides qu’il restait à peupler furent remplis, ces hordes se heurtèrent violemment, avec fracas; les plus jeunes réagirent contre les plus anciennes, et la civilisation romaine, qui avait succédé à la civilisation grecque en l’imitant, fut humiliée à son tour par les Barbares. Le christianisme, qui soumit successivement à sa loi toutes les nations de l’Europe, arrêta les guerres sanglantes dans lesquelles les peuples de même race se déchiraient impitoyablement. La barbarie fit place à une civilisation moins brillante à son début, mais plus complète que l’ancienne, plus morale, et qui reposait sur une base à la fois plus large et plus solide. Peu à peu les fils des Barbares, conquis et domptés par l’Évangile, empruntèrent aux sociétés anciennes le goût des arts, des sciences, de l’industrie, tout ce qui avait donné de l’éclat aux nations de l’antiquité. Cette initiation, qui étonne au premier abord, fut d’autant plus facile aux peuples de l’Europe moderne, qu’ils portaient en eux le germe des mêmes aptitudes : sous leur rude enveloppe couvait ce génie expansif qui deux fois déjà. d’Athènes et de Rome, avait rayonné sur l’ancien monde.

L’histoire des premiers siècles de notre ère assignait, il est vrai, une origine commune aux hordes qui étaient arrivées en Europe par la même route; elle montrait les Barbares sortant de l’Asie à diverses époques pour se fixer, le plus souvent d’une façon passagère, sur les bords du Danube, dans les steppes de la Hongrie, ou dans les forêts de la Germanie et des Gaules. Quant aux langues que parlaient ces Barbares, on ne s’en inquiétait guère ni à Byzance ni à Rome. On avait reconnu entre plusieurs de ces idiomes une certaine similitude; mais qui soupçonnait alors qu’il pût exister entre le langage des Athéniens et celui des Germains, entre la langue de Virgile et celle dont se servaient les pêcheurs finnois, des affinités quelconques? Ces affinités, plutôt latentes que manifestes, on a commencé à les deviner en Europe il y a tout au plus un demi-siècle, et pour les établir d’une manière victorieuse, les savans ont dû se rendre maîtres de deux langues asiatiques marquées au coin de la plus haute antiquité; mais ces deux langues anciennes, qui se ressemblent sans être identiques, ne dérivent-elles pas elles-mêmes d’une langue-mère qui aurait été parlée par un peuple aïeul de tous ceux qui emploient des idiomes dans lesquels on retrouve des mots empruntés à la même source?

Telle est la question que M. Adolphe Pictet s’efforce de résoudre dans l’ensemble du grand ouvrage dont il a publié la première partie, et qui a pour titre les Origines indo-européennes. Les deux langues sœurs dont nous ve-