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de jacobins, qui, à force d’accusations et d’insultes, contraignirent la duchesse à s’éloigner ; mais deux fois encore, pendant que Mme Elliott y résidait, Marie-Antoinette lui demanda la permission de se promener dans les jardins, afin d’échapper à l’outrageante surveillance de la garde nationale. Mme Elliott avait déjà eu l’honneur d’approcher la reine à Saint-Cloud, « sa majesté, dit-elle, ayant remarqué ma petite fille, qu’elle daigna trouver très jolie, et l’ayant envoyé chercher par le duc de Liancourt pour la tenir sur ses genoux pendant tout le dîner. » Souvent aussi elle voyait passer Marie-Antoinette, « dans sa voiture à six chevaux, avec le dauphin. Mme Royale, Mme Élisabeth et Mme de Tourzel, gouvernante des enfans de France. Ils paraissaient alors toujours tristes, abattus, et non sans raison, car peu de personnes leur témoignaient le moindre respect, tandis que bien d’autres qui, quelques mois auparavant, se fussent prosternés à leurs pieds, les dépassaient maintenant et les éclaboussaient sans ménagement. Pour ma part, je leur montrais tous les égards qui étaient en mon pouvoir, et sa majesté daignait me faire voir qu’elle le remarquait. » Plus tard même. Mme Elliott entreprit le voyage de Bruxelles pour remettre une lettre et un petit coffret de la part de Marie-Antoinette à l’archiduchesse Albert ; mais celle-ci avait déjà quitté les Pays-Bas. Voici des lignes curieuses sur la reine et sur la dernière soirée où elle parut en public :

« Je crois fermement que jamais princesse meilleure ni plus aimable n’a vécu. Elle a été cruellement calomniée par la nation française. J’ai intimement connu ceux qui ont approché sa majesté de plus près, et pour lesquels elle n’avait rien de caché : — tous m’ont assuré qu’elle était la bonté même, — une maîtresse des plus douces et des plus affectueuses. À vrai dire, elle l’était trop pour bien des gens qui ne méritaient point ses bontés. Le malheur de la reine, amenée très jeune à la cour de Louis XV, ce fut d’être exposée à y voir de trop près une société légère et sans mœurs. Elle y contracta le goût et l’habitude d’amusemens publics et frivoles que lui eût défendus absolument la sévérité de l’étiquette. C’est ainsi qu’elle se fit beaucoup d’ennemis parmi les vieilles dames formalistes de la cour qu’elle n’aimait point, et qu’elle s’attacha à des personnes plus jeunes dont les dispositions étaient plus conformes aux siennes. La vieille noblesse ne le lui pardonna jamais ; ses actes même les plus innocens furent dénaturés, et ses ennemis lui imputèrent toute sorte de vices…… Après le 20 juin, les personnes qui voulaient du bien au roi et à la reine désiraient que sa majesté se montrât quelquefois en public avec le petit dauphin, le plus joli et le plus intéressant des enfans, et sa charmante fille, Mme Royale. Elle se décida en conséquence à se rendre à la Comédie-Italienne avec ses enfans. Mme Élisabeth et Mme de Tourzel. Ce fut la dernière fois que sa majesté parut en public. J’étais dans ma loge, à peu près en face de celle de la reine. On donnait les Événemens Imprévus, et Mme Dugazon jouait la soubrette. Dès son entrée, sa majesté semblait fort abattue. Les applaudissemens l’émurent profondément, et plusieurs fois je la vis essuyer ses larmes. Le petit dauphin, qui resta sur ses genoux toute la soirée, paraissait rechercher sans cesse la cause des pleurs de sa mère infortunée. Elle s’appliquait à le rassurer, et l’auditoire se montrait généralement sympathique. Dans le cours de la pièce, il est chanté un duo par la soubrette et le valet, où Mme Dugazon dit : « Ah !