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de brusques secousses. Quand il s’endort sur sa couche, il laisse tout échapper de ses mains; en se relevant en sursaut, il pourrait bien tout ébranler. Son sommeil est dangereux pour la liberté : c’est l’ordre que son réveil pourrait un jour mettre en péril.

Carrel lui-même ne pourrait donc se le dissimuler : si le suffrage universel a vaincu toutes les résistances, il n’a pas pour cela trompé toutes les craintes. Il lui a été plus facile d’emporter les obstacles qu’on lui opposait que d’éviter les écueils qu’on lui signalait. Ceux qui le combattaient de leurs efforts, comme ceux qui l’appelaient de leurs vœux, peuvent ainsi, chacun en certaine mesure, triompher de son résultat. Si les uns ont été meilleurs tacticiens, les autres en revanche furent meilleurs prophètes. Si les uns disent avec insolence : « Vous n’avez pas pu nous résister, et nous sommes vos maîtres! » les autres peuvent répondre avec une tristesse sardonique : « Maîtres tant qu’il vous plaira, mais singuliers maîtres qui n’ont pas su rester libres, et nous vous l’avions bien prédit! » Plaisir frivole, triomphe stérile des deux parts, et dont des âmes patriotiques ne peuvent se contenter longtemps ! La joie pessimiste d’avoir raison sur des ruines communes ne peut remplir des cœurs généreux. Des adversaires que des systèmes ont pu diviser, mais que réunit aujourd’hui un sentiment également vif et également inquiet d’indépendance et de dignité, ont, ce semble, quelque chose de mieux à faire que d’échanger entre eux des défis et des récriminations. Convenir ingénument, chacun pour son compte, de ses déceptions et chercher ensuite en commun quelque moyen de parer aux infirmités dont on souffre également, ce serait, nous le pensons, une conduite plus digne d’hommes sensés et plus conforme au bien général. Puisque la souveraineté populaire existe et qu’elle règne sans tempérament par l’organe du suffrage universel, il ne s’agit plus ni de la glorifier ni de la maudire. Le temps est passé de contester sa force et de discuter son principe : c’est à régler ses écarts qu’il faut prétendre. Il faut trouver quelque moyen de couper ses fièvres intermittentes et de soutenir ses défaillances inattendues. Tel est le problème que les révolutions nous ont posé, et qu’elles nous condamnent à résoudre.

La difficulté et l’embarras pèsent juste du même poids, il faut le dire, et sur ceux qui rêvent encore la république et sur ceux qui s’en tiennent à la monarchie; car, quel que soit l’édifice qu’on ait la prétention d’élever, il y a là une base commune et nécessaire à laquelle, si l’on ne veut toujours camper sous la tente, il faut enfin donner la consistance qui lui manque. Et non-seulement le problème est le même pour tous, mais j’incline à penser que tous doivent en chercher la solution dans les mêmes voies. Ce qui me porte à l’espérer, c’est que, malgré tant de dissentimens que je ne cherche point