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manesque, mais l’enchaînement des faits qui ont conduit sa politique à des conséquences souvent si outrées se produisait avec une nécessité qui échappait même à l’action de ses fortes volontés. C’est parce que nous avions présentes à la pensée ces nécessités indomptables déchaînées par la guerre que nous avons patriotiquement défendu la paix tant que la paix a été possible. Dire ce que nous avons à craindre, c’est dire ce que nous devons vouloir non-seulement d’intention, mais par nos actes. Notre premier intérêt, tout le monde le sent, c’est que nous conservions le tête-à-tête avec l’Autriche entre le Pô et les Alpes. La condition principale de cette concentration de la guerre dépend de nous, et nous la remplirons en ne portant point au-delà de ses possessions italiennes notre attaque contre l’Autriche. Il ne nous suffira point de limiter ainsi notre champ de bataille ; il nous importe également de ne pas provoquer de diversions en notre faveur, ou de décourager celles qui ne voudraient pas attendre notre signal. Toute insurrection dans l’empire ottoman et toute manifestation de la politique russe de ce côté, au lieu de nous venir en aide, seraient pour nous un grave embarras. Limiter ainsi la guerre, il faut en convenir, c’est accepter une lutte qui peut durer aussi longtemps que l’ennemi pourra conduire des forces fraîches sur le champ de bataille. En y réfléchissant cependant, l’on reconnaîtra que le système qui empêchera la guerre de s’étendre sera encore le plus sur moyen de l’abréger. La guerre, réduite à un duel entre la France et l’Autriche dans le champ clos de la Lombardie, aura dans cette hypothèse pour témoins les trois puissances neutres, l’Angleterre, la Prusse et la Russie. Les questions qui se débattront dans ce duel, questions de changement des possessions territoriales, d’équilibre des puissances, d’organisation d’un nouveau système politique en Italie, intéressent au plus haut degré ces trois grands neutres ; elles ne peuvent en aucun cas être résolues sans leur participation. Il arrivera un moment où les chances de la guerre et les manifestations nationales de l’Italie se seront prononcées de telle façon que les neutres apercevront nettement la solution réclamée par les circonstances. Après s’être mis d’accord entre eux sur cette solution, ils la proposeront aux puissances belligérantes, et celles-ci, la victorieuse et la vaincue, seront heureuses de pouvoir mettre ainsi un terme à la lutte. Puisque la politique française ne peut songer à aller dicter la paix à Vienne, car un tel dessein équivaudrait à la guerre européenne, c’est de ce côté, c’est d’une médiation des puissances neutres que nous devons attendre la fin de la guerre qui commence. C’est pour nous un motif pressant de mettre toute notre application et toute notre habileté à ménager ces trois neutralités de l’Angleterre, de la Prusse et de la Russie, à empêcher par notre sagesse et notre vigilance les unes de se tourner en hostilités, et les autres de s’échapper en amitiés maladroites et compromettantes.

Mais c’est dans les faits mêmes et dans les circonstances actuelles qu’il faut chercher la base et le point d’appui de la direction que devra suivre la politique française. Parmi ces faits, celui qui domine tout, c’est la guerre elle-même et l’aspect sous lequel la campagne se présente à notre armée réunie en Piémont. Après la situation de la guerre viennent les ressources financières à l’aide desquelles nous nous préparons à la conduire, l’emprunt