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toujours?» Mais comment placer une semblable question au bout d’une tirade politique? Et si Paolino, se disait-elle, lui répondait par un mouvement d’impatience ou d’ennui? Et si sa réponse était non? Ou bien même si c’était un oui prononcé d’un air distrait et indifférent?

Ainsi poussée en sens contraires, Rachel se trouva amenée sans trop savoir comment à suivre ce qu’on appelle en Italie una via di mezzo. Elle imagina de demander à Paolino s’il ne pensait pas que le moment fût arrivé de tout confier à leurs parens. — Tu vas t’éloigner, lui dit-elle, et Dieu sait pour combien de temps! Qui sait si tu re verras jamais ton père? S’il mourait pendant ton absence, ne penses-tu pas que tu regretterais éternellement le pardon qu’il ne pourrait plus t’accorder? Ne penses-tu pas que, même au sein de la félicité la plus parfaite, nous regretterions toujours de ne pas avoir obtenu son consentement et sa bénédiction? Et moi, Paolo, songe à ce que j’aurais à souffrir en recevant son dernier adieu un mensonge sur les lèvres, un masque sur le front! Évite-moi ce déchirement, je t’en conjure, et ne nous quitte pas sans avoir tout avoué à tes parens.

À ces paroles, prononcées d’une voix profondément émue, Paolo répondit avec un grand calme : — Je ne puis partager ta manière de voir à ce sujet, chère Rachel. Je me suis aperçu comme toi de l’abattement et du dépérissement de mon pauvre père, et c’est là surtout ce qui rend mon départ si douloureux, car s’il ne s’agissait que de quitter ce malheureux pays, le plus tôt serait le mieux; mais c’est précisément par ménagement pour mon père que je me garderai bien de suivre ton avis.

— Ce n’est pas un avis, Paolo, c’est une prière.

En honnête garçon qu’il était, Paolo aimait Rachel de tout son cœur, pas assez peut-être pour faire une folie, trop assurément pour lui en faire commettre une. Aussi longtemps qu’il s’était agi pour lui de gagner le cœur de Rachel, la nature lui avait enseigné ces innocens artifices, comme elle lui avait inspiré ces expressions ardentes qui ont tant de pouvoir sur les sentimens des jeunes filles ; mais il s’était calmé depuis qu’il se savait aimé. Cela est arrivé à bien d’autres. Il voyait clair maintenant, il raisonnait comme un homme sage; le bon sens prédominant chez les habitans des campagnes avait ressaisi son empire. Nul doute que l’exil auquel il était forcé de se soumettre ne lui eût semblé infiniment moins amer si Rachel l’eût partagé avec lui; mais il savait que l’exil marchait toujours en compagnie de la pauvreté, et il ne voulait pas y condamner Rachel, car, se disait-il en vrai mathématicien qu’il était, les souffrances de la pauvreté sont de celles qu’une compagne mul-