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suré, mais il avait eu soin de placer les proscrits dans une partie des bâtimens qui communiquait avec les vastes souterrains de la ferme. Dès la première nuit qui suivit le retour des deux enfans, le vieillard et ses quatre robustes fils avaient déblayé une partie de ces souterrains, et en avaient soigneusement obstrué l’entrée, préparant ainsi aux deux fugitifs une retraite ignorée de presque tous et à peu près inaccessible.

Les nouvelles que Pietro rapporta le lendemain de Milan étaient des plus tristes, les exécutions se succédaient presque sans intervalle, et les prétextes les plus frivoles suffisaient pour faire périr un innocent. Des soldats en uniforme autrichien (de faux soldats peut-être) parcouraient les rues, entraient dans les boutiques et dans les maisons, importunant les citoyens pour leur arracher des aumônes qu’ils obtenaient soit de la pitié, soit de la peur; mais à peine le confiant citoyen avait-il déposé son offrande dans la main du soldat, que celui-ci se jetait sur lui et le traînait, secondé par ses camarades, jusqu’au poste voisin, où il l’accusait de lui avoir donné de l’argent pour l’engager à déserter. Il montrait l’argent, et on ne demandait pas d’autres preuves. Le prétendu suborneur était fusillé sur-le-champ. Deux des amis du signor Stella avaient déjà péri, victimes de ces odieux attentats, et la terreur s’était emparée de toutes les âmes. — Mon avis, dit Pietro, c’est que Filippo gagne sur-le-champ la frontière. Quant à Paolino, il n’y faut pas songer, son état exige des soins; mais Filippo s’exposerait, en demeurant ici, à un danger qu’il peut éviter. Du reste, ce que mon père ordonnera sera bien.

Le signor Stella consulta ses autres enfans, qui partagèrent tous l’avis de Pietro, et la résolution de la famille fut bientôt arrêtée. Depuis plusieurs jours, il était question d’envoyer Orazio ou Cesare au marché de Vigevano pour y acheter des moutons, et les serviteurs de la ferme connaissaient ce projet. On décida donc que Filippo et Orazio partiraient la nuit suivante après que tous les serviteurs seraient couchés, et qu’on leur annoncerait le lendemain le départ du second. Les fermiers de cette partie du Milanais sont ordinairement munis d’un laisser-passer qu’ils renouvellent à certaines époques déterminées, et qui leur sert de passeport dans les fréquens voyages que leurs affaires les forcent d’entreprendre, soit en Suisse, soit en Piémont. Chacun des quatre fils agriculteurs du signor Stella possédait un de ces laisser-passer sur lequel un serviteur était mentionné, et rien n’était plus facile que de gagner la frontière en quelques heures. Arrivé à Vigevano, Orazio devait faire ses emplettes et laisser le bétail entre les mains d’un ami jusqu’à ce qu’on l’envoyât chercher. Si on l’interrogeait au retour sur ce qu’il avait