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jours, et quand il reparut, ce fut pour dire à sa famille un long adieu. Il partait avec sa petite troupe pour le Tyrol, où les volontaires lombards firent pendant l’été de 1848 une si héroïque, si malheureuse et si mystérieuse campagne.

Avant son départ pour le Tyrol, Paolo sortit un matin avec Rachel pour se promener avec elle dans les champs, et quelques paroles s’échangèrent entre les deux jeunes gens, qui ne devaient pas se revoir avant plusieurs mois.

— Penseras-tu un peu à moi pendant ma longue absence? demanda Paolo.

— Tu n’en doutes pas, répondit Rachel ; tu seras toujours devant nos yeux à tous ! Comment t’oublier un seul instant, lorsque nous te savons exposé à tant de dangers?

— Si ce n’est que la pensée des dangers que je vais courir qui t’empêche de m’oublier, répondit le jeune homme, blessé par cette explication, tu peux m’effacer de ton souvenir à l’instant même, car ces dangers ne valent pas la peine qu’on s’en inquiète.

— Mais je ne suis jamais tranquille lorsque tu es absent, et je le serai beaucoup moins encore lorsque je te saurai sous le feu de l’ennemi !

— Pourquoi ne parles-tu plus au nom de toute ma famille maintenant?

Rachel leva sur Paolo un regard étonné. — Pourquoi, lui dit-elle avec un accent de profonde tristesse, pourquoi me tourmenter ainsi?

— Puis, tout en larmes, elle garda le silence.

Les hommes dont les manières sont les plus douces, et qui prétendent à une grande tendresse de cœur, éprouvent parfois un singulier plaisir à voir couler les larmes qu’ils font verger, tandis que les hommes aux manières et aux apparences rudes ne peuvent supporter un pareil spectacle. Les pleurs de Rachel n’amenèrent qu’un léger sourire sur les lèvres crispées de Paolo. — Qu’as-tu maintenant, Rachel? T’ai-je offensée? Je n’en avais pas l’intention.

— Quelques mots que murmura la jeune fille parvinrent à peine aux oreilles de l’étudiant; il avait cru comprendre que Rachel l’accusait d’injustice, et des paroles presque dures lui échappèrent. — En quoi suis-je injuste? Tu me parles de tes sentimens, à toi, comme étant ceux de ma famille entière, et tu verses des larmes pendant que les yeux de mes frères sont secs! Je m’en étonne, j’ai tort : les femmes ont les larmes plus promptes que les hommes; c’est là toute la différence. — Paolo, s’écria l’orpheline, ne parle pas ainsi! Jamais je ne t’ai vu si cruel! — Encore! en quoi donc suis-je cruel? Je rends justice à la grandeur, à la générosité de ton cœur; mais, que veux-tu? puisqu’il ne m’appartient pas, je ne puis apprécier,