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je n’ai voulu le faire à l’égard d’aucun de mes enfans. Voyons, sois sincère. Je ne connais qu’une seule carrière, celle de l’agriculteur, du fermier, et je ne suis en état ni de t’en indiquer ni de l’en enseigner une autre: mais ton oncle prétend qu’il y a une foule de belles choses que l’on apprend dans les collèges, et que le premier paysan venu, pourvu qu’il en ait appris quelques-unes, peut du jour au lendemain devenir un grand personnage, un savant, un richard, que sais-je, moi! peut-être bien un comte ou un marquis... Te sentirais-tu disposé à courir la chance?

Les yeux de Paolino étaient maintenant fixés sur son oncle. On eût dit qu’un feu intérieur jusque-là caché sous les cendres s’était allumé soudain au son de ces paroles, pourtant un peu moqueuses. Le négociant en fromage ne crut pas alors pouvoir garder plus longtemps le silence. Son discours, qui était une réponse indirecte aux plaisanteries du vieux paysan sur les brillans résultats de l’éducation de collège, fut une revue des professions libérales dont cette éducation ouvre l’accès, terminée par quelques mots qui mettaient vivement le pauvre Paolino en demeure de se prononcer. — Le tout est de savoir, dit le philosophe de village, si tu as du goût pour l’état de ton père, et si tu te sens assez fort, assez bien portant pour mener la vie qu’il mène. Si tu réponds oui. Dieu te bénisse, et n’en parlons plus; mais, si tu te sens peu de goût pour cette vie, dis-le franchement, et prie ton père de te placer au plus tôt dans un collège, où tu apprendras ce qu’il faut savoir pour choisir un état et pour l’embrasser.

Paolino soupira; il regarda son père, puis sa mère, puis les murailles enfumées de la cuisine, et il soupira encore: il ouvrit la bouche pour parler, mais il ne dit rien. Enfin, après avoir a deux ou trois reprises passé la main dans ses cheveux, après s’être tenu d’abord sur sa jambe droite, puis sur sa jambe gauche, il balbutia d’une voix étranglée ces mots : — Mon père me verrait-il véritablement sans peine renoncer à la ferme et entier au collège?

— Ton père, se hâta de répondre le fermier, te verra non-seulement sans peine, mais avec satisfaction, suivre la route qui doit te conduire au bonheur.

— Mais, ajouta l’enfant, qui semblait avoir perdu une partie de sa timidité, tant il éprouvait d’anxiété, mais n’est-ce point par pitié pour ma faiblesse et pour ce qu’il croit être mon caprice que mon père parle ainsi? Au fond du cœur, n’est-il pas convaincu que j’ai tort, et que je le reconnaîtrai plus tard?

— Si je le pensais, répondit le père, de plus en plus soucieux, je me dirais en même temps qu’il ne m’appartient pas de juger des choses que je ne connais pas. Suis ta vocation, enfant, sans égard