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sorti du mortier. D’immenses étables destinées les unes aux vaches, les autres aux bœufs ou aux chevaux de labour, de petits hangars pour la volaille, avaient été construits le long des murs d’enceinte de la cour, ou à deux pas de l’habitation des fermiers. D’énormes dogues erraient gravement au milieu de tous ces animaux, sans paraître se soucier d’aucun, tandis que sur les degrés conduisant au logis, ou sur l’appui extérieur des fenêtres de la cuisine, un ou deux chats somnolens et méditatifs semblaient craindre de salir leur blanche fourrure en s’aventurant au-delà de l’escalier.

Rien n’était aussi bruyant ni aussi animé que cette cour à l’heure du départ et du retour des travailleurs pour les champs. Le mugissement des bêtes à cornes, les hennissemens des chevaux, les cris des poules et des coqs, les jurons et les menaces des laboureurs, qu’accompagnaient le bruit monotone des pilons tombant dans les mortiers de pierre et celui non moins monotone de la chute d’eau, tout cela formait, chaque matin et chaque soir, un concert, disons mieux, un vacarme étourdissant. À une heure du matin aussi, heure fixée par presque tous les fermiers lombards pour traire leurs vaches, on entendait à quelques lieues à la ronde un bruit assez semblable au roulement d’un tambour : c’était le bruit du bâton des vachers frappant leurs sceaux de bois en guise d’appel et d’avertissement. A l’exception de ces trois momens, la cour de la ferme était calme, et on n’y rencontrait que les hommes spécialement employés à la confection des fromages, classe d’ouvriers, je devrais dire plutôt race d’hommes complètement distincte de toutes celles dont les campagnes lombardes sont remplies. Les fromagers sont des athlètes aux trois quarts nus par toutes les saisons, qui descendent des montagnes du Plaisantin, la plupart célibataires, ne faisant de long séjour chez aucun maître. Sombres et taciturnes, intéressés et vindicatifs, ils sont la terreur de ceux qui les emploient, et les chiens ne les reconnaissent jamais comme faisant partie de la famille. Pourtant ils s’éloignent rarement des étables ou de leur laboratoire. A quelque heure que vous alliez visiter l’une de nos fermes, vous apercevrez, debout, le dos appuyé au chambranle d’une porte d’étable et se détachant sur le fond sombre de l’intérieur, les bras croisés sur sa vaste poitrine, les cheveux hérissés, touffus, se projetant sur un front bas et large, les yeux baissés vers la terre, un ou plusieurs hommes vêtus seulement d’un double tablier de cuir commençant au-dessus des hanches et descendant jusqu’au genou. C’est parmi eux que se rencontrent les alcides de nos foires et de nos cirques.

On connaît maintenant ce qu’était la forme des Huit-Tours à l’époque où commence ce récit, c’est-à-dire au début de la période