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nourrir durant trois mois de l’année. Il aurait donc fallu, si l’on s’en était tenu aux seules ressources que fournit la nature, ou mourir de faim ou se résigner, comme les nomades enfans de l’Auvergne, du Limousin et de la Marche, à des expatriations plus ou moins prolongées; mais l’habitant de Septmoncel n’aime pas à quitter son pays natal, surtout pour aller vivre ailleurs au milieu de travaux différens de ceux qui lui sont familiers. Il est parvenu à se créer une occupation chez lui, à suppléer par le travail industriel au travail agricole qui lui faisait défaut. Il a si bien approprié ses conquêtes aux exigences de sa situation spéciale, que l’exercice de son industrie suffit pour presque tous les jours de l’année. Beaucoup de familles mêmes ne participent aucunement aux rares travaux de l’agriculture. La moitié au moins ne possède ni un lambeau de terre, ni une tête de bétail.

Quelle est donc cette industrie qui est devenue la mère nourricière de toute la population? Le travail local ne ressemble ici en rien à celui qu’on rencontre dans d’autres régions montagneuses de la France. Ce n’est ni la fabrication des rubans comme dans les montagnes du Forez, ni la confection des dentelles comme dans les montagnes de l’Auvergne, ni le tissage à domicile comme dans les montagnes des Vosges, ni aucun travail se rattachant de près ou de loin au groupe des fabrications textiles. L’industrie qui s’est implantée sur ces plateaux, et dont le siège principal est à Septmoncel, s’étend sur le territoire d’une douzaine de communes; elle y occupe de 3,000 à 3,500 personnes, et elle entretient ainsi des germes de vie là où la nature n’avait guère placé que la désolation : c’est la taille des pierres précieuses[1]. On s’émerveille à bon droit d’un tel fait comme d’un prodige. Il est difficile de s’expliquer comment cette industrie est venue s’implanter sur ces montagnes, tandis qu’elle ne s’est acclimatée sur aucun autre point de la France, si ce n’est à Paris, où les incessans appels de la joaillerie rendent suffisamment compte de son existence. Encore est-il vrai qu’elle a eu besoin, pour se développer dans la capitale, du concours de quelques essaims partis de la ruche jurassienne.

On ne saurait fixer le moment où Septmoncel a vu commencer la taille des pierres précieuses. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle y est héréditaire depuis fort longtemps; elle s’y est développée surtout depuis un siècle. Il n’y a qu’une seule autre localité dans le monde qui soit en possession d’une industrie analogue, restant ainsi traditionnellement entre les mains des mêmes familles : je veux parler

  1. La population de Septmoncel comprend 1,400 âmes environ ; la surface du territoire de la commune est de 1,987 hectares. Le plus ancien titre qui fasse mention de cette commune remonte à l’année 1245.