Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taillés à pic. Les voies nouvelles sont entretenues avec un soin extrême.

En quittant Lons-le-Saulnier, la route monte presque au sortir de la ville. On laisse derrière soi d’abord les vignes qui recouvrent les premiers coteaux, puis les noyers gigantesques qui ombragent les premiers vallons. On arrive assez vite à la région des sapins, ces hôtes privilégiés des montagnes, qui défient la sévérité du climat sur des chaînes plus élevées que celle du Jura, quand tous les autres arbres ont disparu. On dirait que sous leur aspect morne et triste les sapins ont pour mission de représenter la vie jusqu’aux limites où la nature est obligée de s’avouer vaincue par le froid. Quoique dans le Jura la température ne s’oppose pas à toute autre végétation, il arrive souvent que le sol pierreux et pauvre ne pourrait nourrir des arbres moins accommodans que ceux-ci. Cela n’empêche pas les sapins de ces montagnes d’atteindre des proportions inconnues aux pays de plaine. On les voit fréquemment s’élancer à des hauteurs prodigieuses, d’étage en étage, le long de gorges étroites, entre des roches nues confusément entassées. De temps en temps leurs rameaux noirâtres voilent l’horreur d’un précipice. Groupés parfois sur des cimes qui dominent de sauvages ravins, ils y forment une sorte d’encadrement autour de quelques croix en bois ou en fer que la piété locale a plantées. Ces monumens, si modestes qu’ils soient, contrastent avec la tristesse de la nature environnante. Dans ces lieux où les forces du monde matériel semblent triomphantes au sein d’une sorte de chaos, on les croirait destinés à rappeler la souveraine domination de l’esprit sur la matière.

Ces perspectives désolées ne se continuent pas longtemps sans diversion. C’est le caractère, c’est le charme des pays de montagne de changer à tout moment d’aspect. Le paysage revêt çà et là un air de vie et de gaieté. On peut descendre de temps en temps dans de verdoyantes vallées, que bordent des murailles d’acacias et de troènes enrubannés de liserons en fleurs. Il faut bien le dire cependant, c’est à peine si le voyageur a quelques semaines au commencement de l’été pour voir ces vallons dans tout leur éclat. Le soleil, en y concentrant ses rayons comme au foyer d’une lentille, y dessèche bientôt la végétation, qu’un tardif printemps vient de faire éclore. Au milieu du jour, les chaleurs y sont alors aussi étouffantes que dans les sables de la zone torride. Pas un insecte n’y fait entendre son cri, pas une feuille n’y remue; seulement la nature a pris soin d’y ménager une assistance précieuse en plaçant pour ainsi dire à chaque pas des sources fraîches et limpides. Parfois l’eau, qui s’est filtrée d’elle-même à travers les roches, vient remplir quelque réservoir naturel où elle se renouvelle incessamment; parfois elle descend de la montagne en minces ruisseaux, ici pénétrant dans