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Ce qui doit rassurer les amis de la république américaine sur son avenir intellectuel, c’est le souci manifeste du bien social qui s’y révèle dans les actes d’un si grand nombre d’individus. Comme le disait récemment dans un discours relatif à l’éducation du peuple, devant un comité de la chambre des représentans du Massachusetts, Wendell Phillips, le noble et éloquent champion de la cause abolitioniste aux États-Unis, « si l’on compare la Nouvelle-Angleterre, je ne dis pas seulement avec le reste de l’Union, — elle dédaignerait une semblable comparaison, — mais avec l’Angleterre elle-même, avec n’importe quelle contrée, on trouvera que la fortune privée y a, depuis sa fondation, été appliquée à des matières d’intérêt public pour une part plus considérable que sur aucun autre point du globe. Nous sommes élevés dans cette foi. Donner est à la mode, pourvu que vous choisissiez quelque objet public. Donner est quelque chose de si naturel, de si reçu, que le testament d’un homme riche, ouvert à la latitude de Boston ou aux environs, qui ne contiendrait point des legs généreux pour de grands objets publics, est noté comme singulier, bizarre, si singulier, qu’il est marqué du stigmate du mépris public. » Chez une nation où règne un semblable esprit, n’est-il pas permis de tout attendre de l’avenir ?

On peut aussi affirmer, sans crainte d’erreur, que, tout en étendant de plus en plus son domaine, l’éducation publique restera toujours aux États-Unis régie par les grands principes démocratiques qui ont pénétré si profondément la société américaine. Les organes du progrès social demeureront les mêmes, et resteront pour l’instruction primaire la commune, pour l’instruction supérieure l’association libre. S’il était nécessaire de prouver l’excellence du principe de la liberté d’enseignement, on pourrait assurément citer l’Amérique : n’est-il pas très heureux que l’état ne puisse y imposer ses doctrines par l’éducation ? Si un tel pouvoir lui était confié, il faudrait désespérer de voir disparaître un jour tout ce qui aujourd’hui dépare et déshonore la république : la légitimité de l’esclavage serait le premier dogme de l’éducation publique, et les générations naissantes deviendraient les instrumens dociles de l’oligarchie corrompue qui depuis trop longtemps gouverne à Washington. Dès ce moment l’on peut prédire le jour où la république confiera le pouvoir à des mains plus dignes, et cet heureux résultat sera du avant toute chose aux progrès de l’éducation publique dans le nord. Le travail de régénération commence dans les écoles, il s’achève dans les luttes quotidiennes de l’église, de la tribune, de la presse, et comme leur œuvre est commune, leurs libertés sont solidaires.


A. Laugel.