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— De Pontasieve, où personne ne m’en a soufflé mot.

— Je vous croyais à Florence depuis deux jours, et vous n’en savez pas plus long! Apprenez donc que Lena est orpheline, fort riche, ravissante (il est inutile de vous le dire), qu’elle aime Paroli, un garçon plein d’esprit, qui est beau comme Apollon, mais ruiné, peut-être même endetté. La tante se laisserait toucher, mais le tuteur est intraitable. Vous devinez le reste.

— De sorte que sa pitié pour Pichichia part d’un touchant retour sur elle-même.

— Certainement; mais il ne faut pas mal juger de son cœur pour cela. La préoccupation de soi-même, c’est notre misère à tous.

— Et Mlle Dini, repris-je, parle ouvertement de son amour pour M. Paroli?

— Pourquoi pas? Quel mal y a-t-il à cela? Je ne sais pourquoi vous faites l’étonné; on voit bien que vous êtes du pays où l’on cache l’amour comme une faiblesse, mais où la galanterie est fort de mise. En France, vous n’avez la pruderie que du bon et de l’honnête.

— C’est une boutade.

— Point du tout. Pardon de vous parler avec cette franchise; mais remarquez que vous-même êtes surpris de ce que Lena parle d’un sentiment très avouable...

L’histoire du lendemain serait longue. On imagine que ce fut un beau jour pour Pichichia et pour Pepe, qui était entré en pleine convalescence. Ils se retrouvaient avec plus d’argent qu’ils n’en avaient jamais vu, avec la possibilité d’acheter sur-le-champ cette voiture et ces chevaux qui étaient l’objet de leur suprême ambition et l’espoir d’un lointain avenir, avec la certitude de leur prochaine union. Dès l’après-midi, Pichichia reprit le chemin de Manafrasca en pleurant de joie au milieu de la rue. De contentement, Pepe en guérit dans les vingt-quatre heures.

Le soir, je retournai chez la marquise. J’étais porteur des plus vifs témoignages de leur gratitude à tous deux envers Mlle Elena Dini. La pensée de leur prochain bonheur lui fit, par un triste retour sur elle-même, pousser un profond soupir.

Plus tard, comme je me trouvais à côté de la marquise, je lui demandai à voix basse le nom d’une femme d’une quarantaine d’années qui se trouvait non loin de nous, et qui roucoulait sur un divan avec un homme de bonne mine, visiblement plus jeune qu’elle. — C’est la Ruccellaï, me dit-elle.

— Elle paraît avoir pour son voisin un faible qu’elle ne cherche guère à déguiser?...

— Un faible! Elle en est folle, cher monsieur, et ne s’en cache pas le moins du monde... Mais à quoi rêvez-vous?