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ciennes connaissances. La marquise me présenta à deux ou trois personnes. En fait de courtoisie, les Italiens sont passés maîtres. Rien de plus aisé, de plus facile, de plus gracieux que leur accueil. De prime-saut, on se trouve avec eux sur le pied d’une demi-familiarité pleine de charme. Cependant, en dépit du plaisir que je ne pouvais manquer de ressentir en si aimable compagnie, ma pensée se reportait sans cesse sur le malheureux Pepe et sur la pauvre Pichichia.

Le lendemain matin, je me levai plus tôt que de coutume. On n’est admis à l’hôpital qu’à dix heures, et il en était seulement huit. Pour tuer le temps, je passai par San-Lorenzo, la paroisse et l’œuvre des Médicis, — sévère basilique où deux membres sans gloire de cette illustre famille ont pour tombeau deux des plus grands chefs-d’œuvre de Michel-Ange, tandis que ses vrais grands hommes, les fondateurs de sa puissance, reposent sous une simple dalle de marbre ou dans un sarcophage de granit. Je regardais ma montre toutes les cinq minutes. Neuf heures et demie approchant, je me dirigeai vers Santa-Maria-Nuova en passant devant la statue du fameux Giovanni delle bande nere, le père de ce gros soldat que Charles-Quint fit duc de Toscane sous le nom de Cosme Ier, souche vigoureuse et luxuriante de vie d’où sortit cette lignée de princes efféminés et dégénérés qui s’éteignit dans la personne de l’imbécile Gaston. Laissant à gauche le vaste palais Riccardi, somptueuse demeure autrefois des premiers Médicis, j’arrivai devant Santa-Maria-dei-Fiore. Encore une demi-heure d’attente. J’essayai en vain de chasser les noires images d’agonie ou de mort qui m’assiégeaient en regardant les portes du Baptistère, ou en me promenant sous la nef du Dôme: ni l’exquise et élégante finesse des bas-reliefs de Ghiberti, ni la mâle grandeur de la nef d’Arnolfo di Lapo ne m’en pouvaient distraire. Enfin dix heures arrivent. Je cours à l’hôpital: grande foule à la porte; je passe à mon tour. — Pepe Gamba, vetturino? — Quatrième salle, numéro 14. — Je monte. Tous les hôpitaux se ressemblent : longue galerie, deux rangées de lits vis-à-vis les uns des autres. Voici celui de Gamba. Je m’approche. Il est maigre et pâle, mais n’a point l’air d’un moribond. Je m’informe : on me dit qu’il est hors d’affaire. Je vais à son chevet, et je reconnais alors, mais bien défait, le jeune homme à la barcarolle napolitaine qui m’avait heurté au milieu des oliviers, près de Manafrasca.

Poverino ! lui dis-je, comment vous trouvez-vous?

— Mieux, signor dottore, me répondit-il d’une voix faible, me prenant pour quelque médecin.

— Pichichia est bien inquiète. C’est de sa part que je viens vous voir.

Le regard du pauvre garçon s’illumina soudain, et, faisant effort