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Sans répondre à ma question, il riposta avec l’accent guttural des Florentins : — Per poco, mossu[1] ; per poco. Otto paoli l’ora; buoni cavalli[2].

C’était plus que le double du prix courant. Comme il n’y a pas de tarif pour les voitures de place, chacun débat avec le cocher le prix de la course qu’il veut faire. L’un demande le plus qu’il peut, l’autre marchande. Quoiqu’il soit d’usage de surfaire les étrangers, le prix fort exagéré de huit pauls ne me prévenait pas en faveur de mon homme.

Che ! repris-je en homme qui connaît son Florence et ne s’en laisse pas imposer comme un Anglais; mais avant tout dites-moi votre nom.

— Oui, dit-il, répondant à une première interrogation au lieu de s’en tenir à la dernière, c’est-à-dire non; mais peu importe, c’est comme si c’était lui. Où veut aller vos’ signoria? Aux Cascine? au Poggio?

— Ni à l’un ni à l’autre. Je voudrais savoir ce qu’est devenu Pepe, puisque ses chevaux et sa voiture...

À ce moment arrivaient deux bouquetières qui me coupèrent la parole. Chacune tenait à la main un panier rempli d’œillets, de jasmins, de tubéreuses, et voulait me vendre tout un parterre. Le goût des fleurs est universel à Florence. Dès le matin, on en doit pour ainsi dire orner la boutonnière de son habit. On ne peut faire trois pas dans la rue, sans rencontrer un marchand qui vous en pourvoit de gré ou de force. L’étranger surtout n’est presque pas le maître de refuser. Dans une ville où il jouit de tant de libertés, il n’a pas celle de ne point aimer les bouquets. Avec deux crazie[3], je me débarrassai des deux bouquetières importunes, et je revins à mon interrogatoire.

— Et Pepe ?

— Je le remplace.

— Bien; mais où est-il?

Voyant qu’il s’agit non de traiter, mais de discourir, le substitut de Pepe laisse flotter les rênes de ses chevaux, qui, de fringans qu’ils étaient sous le fouet, deviennent aussitôt pacifiques comme des bœufs.

— A l’hôpital, me répondit-il en croisant les jambes et en fai-

  1. Lorsqu’ils ont affaire à un étranger, les vetturini ne manquent pas de substituer mossu à signore, persuadés que le reste de leur phrase italienne en devient bien plus intelligible.
  2. « Pour peu de chose, monsieur; huit pauls l’heure; de bons chevaux. » Le paul vaut environ douze sous.
  3. Corruption du mot allemand kreuzer.