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lations indigènes, et se montre bien supérieure en ce point à l’agriculture. Malgré tous les ménagemens, la colonisation agricole ne peut guère se déployer sans froisser à un certain degré les intérêts et les habitudes des Arabes, en réclamant un sol qu’ils occupaient tant bien que mal, en les resserrant, en suscitant leurs sourdes inquiétudes. La colonisation industrielle au contraire est pour eux un vrai bienfait. L’Arabe ne tire aucun parti des chutes d’eau, des carrières, des mines, des forêts, des eaux thermales. Les usines et les ateliers installés autour de lui ne troublent aucune habitude et ne froissent aucun intérêt; il y apporte volontiers ses grains à moudre et ses olives à presser. Le bienfait profite aussi aux colons, dont la plupart viennent des villes et ont des aptitudes plutôt industrielles qu’agricoles, bonnes à conserver et à développer. Pour cela, des encouragemens factices sont superflus : il suffit de favoriser l’exploitation des richesses naturelles en accordant avec empressement les autorisations nécessaires, en ouvrant aux produits de l’industrie manufacturière les débouchés extérieurs avec autant de libéralité qu’à ceux de l’agriculture.

Celle-ci souffre, elle a surtout beaucoup souffert de quelques erreurs économiques propagées par le gouvernement. Le bon sens des colons, livré à lui-même, les eût invités à produire ce que le sol et le climat fournissaient de meilleure qualité, en plus grande abondance, au plus bas prix, ce qui leur demandait le moins de capitaux et de main-d’œuvre, ce qui rendait au plus vite les avances, trouvait un plus facile débouché, imposait moins de mécomptes à leur inexpérience. Les céréales et les bestiaux se trouvaient par là recommandés en première ligne, puis les laines, les huiles, les vins, les fruits, les choses les plus simples et de l’emploi le plus général, qui sont les objets de la spéculation agricole, comme les curiosités rares et phénoménales sont les objets de l’horticulture. Sous un autre nom, la culture extensive se recommandait plutôt que la culture intensive à des colons généralement peu aisés, les produits annuels et bisannuels plutôt que les produits à long terme. Dans tous les pays où l’état ne se mêle pas de diriger l’agriculture sous prétexte de la patronner et de l’éclairer, les cultivateurs ne procèdent que d’après ces règles tellement élémentaires qu’elles dérivent plutôt du simple bon sens que de la science.

Pour le malheur de nos colons, il en fut autrement en Algérie. Préfets et généraux se mirent en tête que les céréales et les bestiaux n’étaient bons que pour les Arabes; à des colons civilisés et français, il fallait des cultures moins grossières. En vertu de cet entraînement irréfléchi vers les nouveautés, on lança les pauvres et ignorans cultivateurs à la recherche de l’inconnu : on leur vanta l’une après