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vais vouloir de l’Espagne, que Louis XV n’osa pas braver, et le roi de Sardaigne, secondé par les Autrichiens de Lichtenstein, vint surprendre dans Asti les troupes françaises, commandées par M. de Montal. Si l’avortement du congrès ne nous permet plus de continuer pacifiquement la tradition de M. d’Argenson, le coup de tête de l’empereur d’Autriche va nous fournir du moins l’occasion de venger glorieusement les échecs qu’éprouva en Piémont en 1746 l’armée du maréchal de Maillebois.

En effet, malgré la lueur d’espoir qu’a fait un instant briller le projet de médiation mis en avant par lord Derby à la onzième heure, suivant l’expression anglaise, on peut considérer la guerre comme ayant éclaté par la faute de l’Autriche. Il serait superflu de s’occuper de cette médiation anglaise. Si, comme nous le croirions volontiers d’après son propre aveu, le ministère anglais a commis une faute en laissant substituer la proposition d’un congrès à la négociation entamée par lord Cowley, cette faute ne pouvait plus se réparer au moment où il a voulu si tardivement revenir sur ses pas. Il n’eût guère été possible de régler la grande question italienne sans le concours de l’Europe : il aurait toujours été nécessaire de recourir à un congrès pour donner une sanction européenne aux arrangemens intervenus sous l’influence de la médiation anglaise ; mais, à l’heure qu’il est, cette nécessité est plus éclatante encore. Les troupes françaises, appelées par le roi de Sardaigne menacé, sont entrées en Italie ; pourraient-elles se retirer, si les résultats poursuivis par la France n’étaient point placés sous une garantie européenne ? La question italienne appartient à l’Europe. Pourrait-on la dérober en quelque sorte à la Russie, qui a proposé le congrès, et à la Prusse, qui y a adhéré ? Enfin l’acceptation de la médiation anglaise par l’Autriche peut-elle être considérée comme sérieuse ? Si nous sommes bien informés, M. de Buol aurait envoyé de Vienne le 28, à l’armée autrichienne, l’ordre de commencer ses opérations. Le 29, en effet, des éclaireurs autrichiens ont passé la frontière du Piémont, et ce matin le gros de l’armée concentrée entre Plaisance et Pavie a dû se mettre en marche. L’ordre de M. de Buol et les opérations de l’armée autrichienne peuvent-ils se concilier avec l’acceptation de la médiation anglaise ? La France a dû accueillir avec courtoisie la dernière proposition de lord Malmesbury : elle n’a pas même eu besoin de la décliner ; la proposition tombait pour ainsi dire d’elle-même devant la force des choses et l’impétueux courant des faits.

Certes, depuis le commencement des complications actuelles, nous avons franchement plaidé la cause de la paix : nous n’avons pas caché le chagrin que nous éprouverions, s’il était impossible, dans l’état de civilisation où l’Europe est arrivée, de résoudre par des discussions pacifiques les problèmes politiques qui s’imposent aux nations ; mais si notre confiance dans la raison des gouvernemens et des peuples devait être déjouée, nous avions exprimé ce vœu à plusieurs reprises : puissent l’Italie comme la France, à force de patience, laisser du moins à l’Autriche la responsabilité terrible de rendre la guerre inévitable ! Cette responsabilité, c’est l’Autriche, grâce à Dieu, qui l’a assumée en recourant la première à la force des armes. L’appel aux armes a cela de redoutable, qu’en mettant fin aux débals présidés par la raison et la justice, il tourne le droit contre celui qui ne craint point