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et elles imitent de la voix et du geste le mouvement des cloches en branle. Ce sont là des détails d’imitation matérielle où Meyerbeer se complaît un peu trop. Nous préférons à ces finesses d’un réalisme minutieux la romance que chante Dinorah : Le vieux sorcier de la montagne, dont la tournure mélodique un peu vieillotte, conforme au sentiment qu’exprime la pauvre folle, est relevée par d’heureuses combinaisons d’accompagnement. Une scène délicieuse succède à cette romance. Dinorah, seule au milieu d’une forêt et pendant la nuit, voit tout à coup paraître la lune, dont la pâle lumière dessine son ombre sur la bruyère. La folle invoque cette ombre qu’elle prend pour sa compagne, et chante en dansant sur un mouvement de valse :

Ombre légère
Qui suis mes pas,
Ne t’en va pas!


Cela est d’une rare élégance, et je n’y regrette qu’un abus de vocalises vers la conclusion qui reproduisent des effets d’écho déjà entendus au premier acte dans le duo avec le cornemuseux. Je goûte moins la chanson de Corentin cherchant à se donner du courage : cela me semble plus baroque que comique; mais j’admire avec tout le monde la couleur pathétique de la courte légende que Dinorah chante au cornemuseux transi : Sombre destinée! Un morceau plus remarquable encore, c’est le duo pour ténor et baryton entre Hoël et Corentin au moment où ils vont aller déterrer le trésor: Quand l’heure sonnera. Ce duo est tout à la fois dramatique et musical, bien dans le style de l’opéra-comique, rempli de détails qui relèvent la vérité du dialogue sans nuire à l’effet d’ensemble. Il est supérieurement chanté et joué par MM. Faure et Sainte-Foy. Le trio final entre Dinorah et les deux autres personnages est une page grandiose où l’on retrouve la main et le génie de l’auteur de Robert le Diable.

Le troisième acte débute par une véritable bucolique qui ne tient à l’action que par un fil imaginaire. On dirait que le compositeur, s’étant aperçu un peu tard que la fable qu’il avait acceptée ne lui offrait pas assez d’aliment, a voulu y ajouter ce hors-d’œuvre tout musical. L’acte commence par un air de chasse qui sera bientôt populaire, et dont la ritournelle, confiée à cinq cors, est d’une fraîcheur ravissante. A ce morceau, que le public fait répéter et qui est de la mélodie la plus simple et la plus colorée, succèdent le chant du faucheur, qui ne manque pas de grâce, puis une villanelle à deux voix que chantent deux jeunes pâtres :

Sous les genévriers.
Abri des chevriers,
Broutez, broutez, mes chèvres!


d’où s’exhalent un parfum agreste et une douce mélancolie. L’intermède se termine par une prière à quatre voix. L’action reprend son cours à l’arrivée d’Hoël portant dans ses bras Dinorah évanouie. Pendant l’orage qui éclate à la fin du second acte, le pont fragile qu’elle traversait s’est rompu, et elle est tombée dans le gouffre du val maudit. Hoël l’a sauvée, et il lui exprime sa douleur et son repentir dans une romance pleine de sentiment que