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l’art qui s’inspire en plus haut lieu nous touche davantage, et, si habile que puisse être M. Landseer lui-même, nous ne pensons pas que le peintre de Jack en faction ait fait autant pour sa gloire personnelle et pour la grandeur de l’école anglaise que s’il avait réussi à interpréter les faits et les sentimens humains.

Est-ce à dire que l’art contemporain se réduise, de l’autre côté du détroit, à la transcription d’une nature inférieure ou inanimée, — qu’on ne peigne à Londres que des paysages pour illustrer les keepsake, ou des groupes d’animaux pour décorer les salles à manger? Les faits démentiraient une telle assertion. Depuis les compositions bien connues en France de Wilkie et de Mulready jusqu’aux toiles de MM. Webster et Leslie qui figuraient, il y a deux ans, à l’exposition de Manchester, assez d’œuvres attestent des efforts d’un autre ordre : efforts sérieux en un certain sens, puisqu’ils tendent à réformer des doctrines et une pratique conventionnelles, mais impuissans à déterminer rien de plus que le progrès dans un genre secondaire, à faire de la peinture autre chose qu’un miroir où se reflètent les accidens ordinaires de la vie. Cette fidélité de traduction en face d’objets familiers, cette aptitude à s’assimiler les caractères particuliers, la physionomie intime, comique même, d’un personnage ou d’une scène, sont aujourd’hui des qualités propres à l’école anglaise ; mais, encore une fois, il ne faut reconnaître et vanter un mérite de cette sorte que dans la mesure qui convient. Il ne faut pas élargir si bien la sphère où se meuvent les artistes anglais qu’il y ait place pour tous les genres de talent, prétexte à tous les éloges. L’étude de M. Silvestre nous semble participer beaucoup trop en ceci du panégyrique. Que M. Silvestre loue hautement les peintres éminens que l’Angleterre a vus naître depuis le XVIIe siècle, — Hogarth, Reynolds et Gainsborough entre autres, — personne ne refusera de s’associer à des hommages aussi légitimes; mais lorsque, après avoir cité les noms des quatre ou cinq artistes véritablement supérieurs qui ont honoré l’école anglaise, M. Silvestre continue de s’enthousiasmer d’aussi bon cœur en face du présent, on se prend à perdre quelque peu confiance dans cette admiration obstinée. On se demande si l’état actuel de l’art à Londres, si des œuvres diversement agréables, mais inspirées après tout par le même esprit, par la même foi un peu humble, justifient bien ce que dit M. Silvestre de la variété des talens et de l’importance des maîtres que l’Angleterre a « la gloire de compter. » D’autres avant nous, et des plus intéressés dans la question, ont eu ces scrupules. L’un des membres de la Société des Arts, M. Digby Wyatt, dans sa réponse au discours de M. Silvestre, avouait que celui-ci, « comme un habile musicien, avait touché fortissimo les points de l’amour-propre national, et pianissimo une corde plus sensible... Il ne nous a pas avertis, disait-il, qu’il existât dans l’art des royaumes que nous n’avons pas conquis... » L’art anglais, pourrait-on ajouter en continuant la pensée de M. Digby Wyatt, en est encore à ne posséder qu’une province. Si dans ce domaine restreint il sait faire acte d’esprit pratique et d’indépendance, il faut, pour mériter « la gloire, » des inspirations plus hautes, des entreprises plus difficiles et de plus vastes succès.

Que conclure de tout ce qui précède? Quels symptômes nous révèlent, au