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teinte teinte à aucune industrie, et ils ont été des bienfaits pour le public; néanmoins la coterie en dissimula mal sa mauvaise humeur, et elle fit entendre de telles réclamations qu’après avoir mis en question une des prohibitions les plus dommageables à l’intérêt public, celle qui frappe les filés de coton, matière première de plusieurs grandes industries (les calicots, percales et jaconas, les toiles peintes et imprimées, les tulles, la bonneterie), le gouvernement crut devoir la maintenir.

Sur ces entrefaites se prépare et s’ouvre l’exposition universelle de 1855. Cette imposante solennité constate l’avancement de l’industrie française. De même qu’à l’exposition universelle de Londres, nos manufacturiers plient sous le poids des récompenses. Pour les obtenir, ils ne s’étaient fait faute de répéter qu’ils en étaient dignes, qu’ils remplissaient toutes les conditions requises, et parmi celles que portait expressément le règlement se trouvait la production à bon marché. Si l’exposition de 1855 a été bonne à quelque chose, c’est assurément à prouver que les manufacturiers français n’avaient plus besoin d’être soutenus par l’échafaudage dont on avait étayé leurs débuts. Les fabricans de Manchester, — ces rivaux qu’on disait irrésistibles à ce point qu’en dehors de la prohibition toute protection vis-à-vis d’eux fût impuissante, — furent obligés de remballer les trois quarts des produits de choix qu’ils avaient exposés, quoique le public français eût par exception la faculté d’acheter sous un droit modéré tout ce qui avait figuré à l’exposition. Le moment paraissait venu où une révision du tarif semblait devoir obtenir l’assentiment universel, pourvu qu’elle fût graduelle, de manière à bien ménager la transition, et personne ne la demandait différente, même parmi les partisans de la liberté du commerce qu’il est convenu de représenter comme des novateurs effrénés et des théoriciens implacables. Cette idée germait dans tous les esprits. Les prohibitions absolues surtout semblaient jugées de toutes parts comme des anachronismes qu’il importait à l’honneur national qu’on répudiât, surtout alors que les autres états de l’Europe, moins avancés que nous, en avaient donné l’exemple. Le gouvernement crut faire une chose toute simple et allant de soi, lorsqu’à la session qui suivit, il présenta un projet de loi portant levée des prohibitions et les remplaçant par des droits dont l’élévation était telle qu’ils eussent rendu impossible toute importation ; mais il avait compté sans la coterie prohibitioniste. L’association pour la défense du travail national souleva une tempête. Par les comités locaux, elle exerça une intimidation. Le gouvernement essaya de calmer l’orage en surhaussant encore les droits qu’il s’était agi de substituer à la prohibition. Inutiles efforts! l’irritation réelle ou affectée du parti resta