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tant jusqu’à la passion la sympathie qu’elle leur inspire. Le propre des habitans des campagnes n’est pas de se passionner. Dans la vie des champs, on ignore cette fermentation qui naît de l’échange précipité des idées et des sentimens dans les agglomérations urbaines. Le fait est que la plupart des agriculteurs, en cela au surplus semblables à un grand nombre de leurs concitoyens, sont peu familiers avec les mystères de l’échelle mobile, car depuis l’édition de 1832 l’échelle mobile est assez malaisée à comprendre; on dirait une tentative d’appliquer l’algèbre à la législation : rien qu’à lire la loi de 1832, on devinerait, si on ne le savait déjà, qu’elle fut l’œuvre d’un mathématicien. Au sujet de l’opinion des campagnes sur l’échelle mobile, on consultera utilement, entre autres dépositions, celles de MM. Le baron de Veauce, Masson, Jules Pagézy et Miquel.

Le sentiment qui anime les paysans et les petits propriétaires est celui d’une grande confiance dans le gouvernement, qui la justifie par la sollicitude avec laquelle il recherche les moyens d’améliorer la condition des campagnes. C’est aussi un penchant bien connu de cette partie de la population française, de s’en remettre à l’expérience au lieu de s’enthousiasmer pour des formules, surtout quand celles-ci sont peu intelligibles. Le gouvernement ici peut donc se considérer comme conservant sa pleine liberté. Si, en son âme et conscience, il pense de l’échelle mobile ce qu’en ont pensé tant de gouvernemens étrangers; s’il croit, comme on le croit au dehors, que le libre commerce des grains est un progrès économique et politique pour le monde civilisé; s’il est convaincu, comme il nous semble qu’il y a lieu de l’être, que l’agriculture française n’aurait qu’à y gagner, et que, pour elle comme pour le consommateur, ce serait le moyen de restreindre les écarts des mercuriales, écarts dont l’amplitude fait tour à tour le désespoir de la production et de la consommation, ce n’est point la crainte d’indisposer les populations des campagnes qui doit le retenir : cette crainte n’est qu’un de ces fantômes que les prohibitionistes excellent à faire apparaître, car monsieur Prohibant a un talent sans égal pour la fantasmagorie.

Il y a peu d’années, un fait s’est passé qui touchait fort l’agriculture, et qui a montré combien cette classe, qu’on dépeint comme ignare et obstinément vouée à une aveugle routine, est accessible à la raison et prompte à saisir les enseignemens de l’expérience, combien aussi elle est disposée à prendre en bonne part les actes du gouvernement qui la concernent. L’entrée du bétail étranger était frappée d’un droit exorbitant qui datait de la restauration, lorsqu’en 1853 le gouvernement impérial, dans un légitime désir de