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de quiconque a étudié les faits : c’est celui qui a été recommandé par beaucoup de personnes à l’enquête, de reconnaître le double mouvement qui s’est produit d’une manière spontanée, et en vertu duquel les blés français sortent en abondance, après les bonnes récoltes, par les ports de la Manche et de l’Océan, et même par la frontière de Belgique, pendant qu’une quantité beaucoup moindre de blés étrangers vient suppléer, sur le littoral de la Méditerranée, à l’insuffisance de la production locale, car nos départemens méditerranéens trouvent plus d’avantage à se livrer à d’autres cultures qui réussissent admirablement sous leur climat privilégié, telles que la vigne, l’olivier, le mûrier, et dans les terres de bonne qualité la garance et la luzerne. Ainsi, pendant que nous exporterions une notable quantité de nos céréales, récoltées dans l’ouest et le nord, nous laisserions la Russie méridionale et les pays du Bas-Danube en importer une quantité médiocre pour compléter, avec les expéditions du centre et de l’est de la France, les approvisionnemens de la Provence et du Bas-Languedoc. Contre cette combinaison, si bien indiquée par la nature des choses et si avantageuse au pays, les prohibitionistes, en vertu du plan qu’ils ont adopté de faire rétablir l’échelle mobile à la sortie et à l’entrée, ont fait entendre leurs voix dans l’enquête. Toutes les fois que la faculté est accordée à un produit étranger d’entrer sur notre sol, il leur semble que la France est sacrifiée ou trahie, comme si nous pouvions vendre nos marchandises à l’étranger autrement qu’en recevant les siennes en retour, à moins cependant que nous ne consentions à les lui laisser pour rien. Par l’organe de M. Benoist d’Azy, qui est incontestablement un homme capable et un homme d’esprit, monsieur Prohibant, qui n’a pas souvent le bonheur d’avoir un pareil interprète, a représenté que la seule bonne combinaison était de fermer le midi aux blés étrangers, et que les méridionaux n’auraient rien à redire, s’ils étaient contraints de s’approvisionner de grains dans le centre de la France, parce que, le centre consentant à se désaltérer avec leur vin, par réciprocité de bon voisinage et en bons compatriotes, il fallait qu’ils se résignassent à se nourrir avec les blés du centre. Le raisonnement est plus spécieux que solide. Il me remet en mémoire un mélodrame du boulevard où l’on voyait deux personnages qui, après avoir été dans la misère ensemble, s’étaient séparés. L’un d’eux étant devenu industrieux et riche, l’autre, qui était demeuré mendiant, se présente un jour chez lui, et prétend s’y installer sur le pied d’égalité en lui tenant ce langage : « Tu as jadis partagé ma misère, je viens partager ta fortune. » L’homme enrichi par son travail refusait de se prêter à la réciprocité qu’alléguait son ancien compagnon, et il n’avait pas