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Baltique, aux États-Unis, à Alexandrie, dans la Mer-Noire, les Anglais n’en ont pas assez ; ils viennent nous en acheter à nous aussi, et en masse. Voilà comment nous sommes devenus un des pays d’où il s’exporte en certaines années le i)lus de blé. J’ai déjà eu occasion de rappeler que, dans les seize mois terminés au 15 mars 1859, nous avons exporté 9 millions d’hectolitres[1], et je ne suppose pas qu’il en soit sorti autant d’Odessa. Jusqu’en 1846, c’est-à-dire avant l’ouverture du marché anglais, jamais nos exportations annuelles n’avaient atteint 900,000 hectolitres, et six fois seulement, dans l’intervalle de 1821 à 1846, c’est-à-dire en vingt-six ans, elle avait excédé 500,000 hectolitres. Non-seulement nous sommes au nombre des fournisseurs de l’Angleterre, mais les relevés des douanes montrent que nous sommes assez fréquemment les premiers de tous. Pour notre agriculture de l’ouest et du nord, c’est une bonne fortune inattendue, qu’il serait, je ne dirai pas seulement injuste et impolitique, mais je ne crains pas d’ajouter inepte de leur ravir. Or l’échelle mobile appliquée à la sortie semble bien devoir la leur enlever. Du moment que l’échelle mobile commencerait d’agir, la sortie du blé français serait impossible, parce que c’est à la faveur de faibles différences que les agriculteurs ou les meuniers des départemens con)pris entre la Loire et la Seine, ou plutôt entre la Garonne et l’Escaut, peuvent obtenir en Angleterre la préférence sur leurs concurrens. On peut voir dans l’Enquête que quelques-unes des personnes entendues ont blâmé même le simple droit de balance de 25 centimes par hectolitre[2]. Or on sait que l’échelle mobile n’y va pas de main morte : pour chaque franc de hausse des prix, et même pour un seul centime, à partir d’un certain point, elle ajoute un droit de sortie de 2 fr. et 2 fr. 40 c. avec le double décime[3].

Le lecteur trouvera peut-être que le mot inepte, dont je viens de me servir, est de toute dureté ; je crois devoir m’arrêter un instant pour le justifier. C’est qu’ici il s’agit non pas seulement du droit qu’a l’agriculture de disposer de ses denrées au gré de ses intérêts, droit qu’on ne peut atteindre sans léser le principe même de la propriété ; il s’agit aussi des nécessités de l’alimentation publique elle-même. Si en effet nos cultivateurs doivent trouver devant

  1. Une partie considérable de cette exportation est à l’état de farines ; la meunerie française a une véritable supériorité, qui contribue, dans une certaine mesure, à l’écoulement de nos blés au dehors.
  2. Porté à 30 centimes par le double décime.
  3. D’après la législation de 1832, qui est actuellement en vigueur, c’est à partir du prix de 19 francs que s’applique, dans l’ouest, le droit supplémentaire de sortie de 2 fr. 40 cent, par hectolitre, droit qui est à peu près prohibitif ; ce droit doit être perçu dès que le prix est de 19 fr. 01 cent.