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I. — DE L’ÉCHELLE MOBILE A L’IMPORTATION.

L’échelle mobile naquit chez nous d’une illusion politique et d’un calcul fautif de l’intérêt privé. On sait qu’elle vit le jour en 1819, et qu’elle fut parée de nouveaux atours en 1821. À cette époque, la grande propriété exerçait l’ascendant que lui avait ramené le courant des idées après la rentrée des Bourbons. — Les politiques les plus consommés de l’école royaliste d’alors étaient persuadés qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de reproduire en France la constitution anglaise, avec une pairie héréditaire fondée principalement sur le sol; autour de la pairie se serait déployée, comme une aristocratie compacte, un corps de grands propriétaires fonciers. Il s’ensuivait, comme conséquence naturelle, qu’il était bon qu’à l’instar de ce qui subsistait en Angleterre, la législation commerciale favorisât la grande propriété territoriale, et apportât un accroissement à ses revenus. Cette pensée dicta des lois de douane qui établissaient des droits élevés sur le bétail, sur les laines brutes, sur les vins, et qui tendaient à augmenter le prix des bois par le moyen des droits sur les fers : on se souvient qu’alors chez nous tout le fer à peu près se produisait au moyen du charbon de bois. La même idée systématique s’appliqua aux céréales sous une forme toute particulière, celle de l’échelle mobile, appareil aux combinaisons variées, mais qui revient toujours à ceci, que, lorsque le blé est à bon marché, une barrière sort de terre spontanément pour barrer le chemin aux céréales étrangères, et s’élève à mesure que s’abaissent les prix à l’intérieur.

La protection que l’on croyait accorder ainsi aux producteurs de blé, à l’image de ce qui se faisait par un autre procédé en Angleterre depuis 1815, car là l’échelle mobile n’existait pas encore en 1819 ni même en 1821, marchait de front avec une prohibition à la sortie, lorsque le prix du blé dépassait un certain point. On croyait faire ainsi la part du consommateur : ce fut plus tard, en 1832, que cette prohibition éventuelle fut remplacée par l’application à la sortie d’une autre échelle mobile accomplissant le même objet. Je mentionne, sans y insister, un des caractères du système tel que le combina le législateur français, qui fit une brèche à l’uniformité de nos lois : c’était de partager les départemens en classes, dans chacune desquelles on appliquait un droit distinct, à partir duquel jouait l’échelle ascendante, et où commençait la prohibition de sortie. On sait qu’en vertu de la loi de 1832 il y a aujourd’hui quatre classes, ou plutôt, à cause de la subdivision en sections, il en existe huit.

Je ne crois pas devoir examiner ici en détail la question de savoir