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giment européen qui s’était arrêté près d’une source pour s’y désaltérer après une longue marche, y laissa quatorze hommes étendus morts. Il faut des événemens de ce genre pour arracher à Hodson quelques expressions de mauvaise humeur. Du reste, tout est bien, même la fièvre, dont on se débarrasse si aisément avec force quinine.

Il y eut un moment où la guerre du Moultan (1848) prit une tournure assez équivoque. Le général Whish, après avoir mis le siège devant la capitale du pays en-révolte, fut obligé de se retirer. L’importante forteresse de Govindghur, confiée à des troupes suspectes, courait grand risque d’être enlevée aux Anglais sans coup férir. Hodson fut chargé de la sauver. Un stratagème à la Montluc lui en fournit les moyens. Il envoya devant la forteresse un jeune officier indigène avec un détachement de ses guides, escortant quatre prétendus prisonniers d’état, chargés de chaînes pour le besoin de la journée. Les Sikhs de la garnison, ne voyant aucun visage suspect, laissèrent entrer les soldats de Hodson, et ceux-ci, une fois à l’intérieur, jetant tout à coup le masque, prirent possession de la place importante où Runjeet-Singh abritait jadis ses trésors.

Pendant la campagne de 1848, investi de pouvoirs absolus, ceux; que donne l’état de siège, Hodson avait, comme il le dit lui-même, à faire vivre une armée de 18,000 hommes (3,000 soldats, 15,000 valets de camp) et de 2,000 chevaux, à surveiller et diriger le corps des guides, à tenir l’état-major au courant de toutes les manœuvres de l’ennemi, à combattre, l’occasion s’offrant, à démolir six forteresses pour en vendre le contenu aux enchères, à bien accueillir tout visiteur. Il fallait encore rendre de toutes ces choses compte quotidien au gouvernement, — le tout sans préjudice d’une marche de nuit variant de dix à vingt milles et sans parler des heures forcément consacrées aux repas, à la toilette, au sommeil, parfois même à se reposer de ces fatigues surhumaines.

Qu’arrive-t-il de tant d’efforts et de glorieux services? Force complimens et pas grand’chose de plus. Le résident, M. Currie, transmet au gouverneur-général les plus beaux certificats en faveur du lieutenant Hodson. Le secrétaire du gouverneur-général riposte en envoyant à M. Currie le témoignage de l’admiration que lui inspire l’honorable conduite dudit lieutenant. En somme, la guerre finie et le Pendjab annexé, l’objet de tant de flatteuses démarches demeure ce qu’il était. Que dis-je? il retombe à un rang bien inférieur du jour où cessent les privilèges exceptionnels de l’état de guerre. Il n’a plus la moindre part au gouvernement de ce pays qu’il a tant aidé à conquérir. L’Angleterre a un royaume de plus; la reine Victoria met le koh-i-noor dans son écrin; Hodson se retrouve en face des règlemens, et les règlemens de la très honorable compagnie n’admettent pas de droits supérieurs à ceux de l’ancien-