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donc Ildegonde, où les incidens sont à la fois moins nombreux, moins variés, moins imprévus, moins attachans. A des aventures, de couvent, à des traîtres de mélodrame, à de vulgaires enlèvemens, comment ne pas préférer de vraies et naturelles passions; que produit dans Ulrico e Lida, par la seule force des choses, une guerre presque civile entre des voisins et pour ainsi dire entre des frères? Mieux, inventée, la fable est aussi mieux conduite, les proportions y sont mieux: gardées, et les personnages, sinon tracés d’un crayon vigoureux, du moins dessinés avec plus de finesse et d’originalité. Ce qui explique l’accueil fait à cette touchante nouvelle, c’est l’époque même où elle paraissait. Alors déjà commençait pour l’Italie cette agitation politique qui l’absorbait tout entière, et dont elle ne voulait pas être distraite. Or, si le sujet d’Ulrico e Lida est emprunté à l’histoire nationale, le poète n’y cherchait aucune leçon patriotique, et si, à son insu, il en ressortait une, c’était l’horreur des discordes, des féroces tueries, de la tyrannie insupportable des communes italiennes au moyen âge. Pouvaient-ils. applaudir à cet affreux tableau des républiques, ceux qui souffraient de la monarchie, ou qui du moins lui imputaient tous leurs maux?

Si Grossi a le sentiment de la réalité pour une époque, pour un ensemble de faits, il ne sait pas voir les petits détails dont se composent les grandes choses. Il fait voyager ses personnages sans raison ou plutôt contre la raison, il reproduit à plusieurs reprises dans le même ouvrage les mêmes incidens. Son style dans Ulrico e Lida a plus de couleur, de variété et de mouvement que dans ses autres, poèmes, mais il manque encore d’élévation. Grossi reste attaché à la terre, où pourtant il se trouve mal à l’aise. On ne saurait dire quelle moralité ressort de ses écrits. Ce n’est pas le triomphe de la vertu : il nous la montre malheureuse, persécutée, succombant à la fin. Ce n’est pas le triomphe du crime : il démasque et punit les criminels. Ce n’est pas l’enseignement religieux : croyant, mais apathique, il laisse la foi faire son chemin d’elle-même. Ce n’est pas enfin l’enseignement politique : la vie de Grossi découragerait à cet égard les plus bienveillantes hypothèses. De là un ensemble d’œuvres où l’unité manque, où n’apparaît aucune intention sérieuse, mais dont quelques-unes vivront par le charme de la forme, et qui indiquent une âme sensible, une délicate nature d’artiste, à défaut d’un esprit vraiment élevé.

Depuis la mort de Grossi, M. Tommaseo et M. Prati soutiennent presque seuls parmi les vivans l’honneur de l’école. Romancier, publiciste, philologue, poète, M. Tommaseo a également réussi dans tous les genres, quoiqu’il n’ait peut-être pris la première place dans aucun, faute de s’y être entièrement consacré. Il a fait des vers