Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de là l’émotion dont la trilogie de Berchet est empreinte et l’enthousiasme vraiment national qui l’accueillit.

Malgré l’importance du chant de Parga dans l’œuvre de Berchet, ses romances ont peut-être contribué davantage à populariser son nom, parce qu’il y défend directement, et non plus par allusions, la cause nationale. On ne saurait lui reprocher la forme légère dont il a fait choix pour exprimer sa pensée, car il a certainement donné ses titres de noblesse à la romance. Il excelle, c’est Là son originalité, à peindre les misères politiques de la vie italienne. Dans la romance intitulée Giulia, il décrit la douleur d’une mère qui voit l’un de ses fils obligé de servir sous les drapeaux autrichiens, tandis que l’autre, exilé, mais ramené plus tard dans les plaines lombardes par une nouvelle lutte, sera réduit à combattre un frère qui pense comme lui. Le Remords et Mathilde nous rappellent un fait douloureux, bien connu de tous ceux qui ont été introduits dans la société italienne, et qui caractérise, mieux que ne le feraient de longs discours, la situation exceptionnelle de ce malheureux pays. Une femme belle et jeune, assise dans un salon, voit le vide se faire autour d’elle. Son fils, gracieux enfant, est à ses côtés : la gentillesse de son âge ne conjure pas l’espèce de proscription dont sa mère et lui semblent frappés. Est-ce donc une femme perdue? Non, c’est l’épouse d’un officier autrichien, a Au théâtre, dit le poète, dans les rues et jusque sous les voûtes de l’église, un peuple qu’on emprisonne et qu’on torture laisse échapper cette parole : — Maudite soit celle qui a enivré l’Allemand de ses caresses! Qu’elle paie cher, l’imprudente! l’oubli fatal où, à l’heure du mariage, elle a laissé les maux de l’Italie! Son fils aura-t-il une patrie, et elle-même, si ses compatriotes secouent le joug, ne sera-t-elle pas condamnée à partir pour l’exil? » La romance de Mathilde nous présente la face opposée du même sujet. Ici c’est la jeune fille qui est patriote : elle remarque tout, elle n’oublie rien, et conjure son père de ne pas la fiancer au fils de l’étranger.


« Le front enflammé, les yeux hagards, les joues couvertes d’une anxieuse pâleur,

« Épouvantée par des songes mensongers, Mathilde se lève, s’interroge, se reprend à la vie, et conjure les fantômes qui l’étreignent encore.

« Cessez ces chants, ne l’appelez pas mon fiancé. — Mon père, ne me donne pas à l’étranger !

«Sur le visage de cet être odieux, dans son rude langage, vois son empressement honteux à la servitude, la lâcheté enfin et la vanité folle du guerrier autrichien.

« Rappelle-toi qui il est, rappelle-toi l’Italie et nos douleurs! Ne mêle pas le sang de l’opprimé avec celui de l’oppresseur!