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poésie, à suivre scrupuleusement la trace des plus parfaits modèles et à parler leur incomparable langue sans s’y être préparé par de fortes études dont peu de personnes ont le courage. Tous les esprits au contraire qui sentent en eux les bouillonnemens de l’imagination vont grossir la phalange, nécessairement plus nombreuse, de ceux qui demandent la renommée à leurs facultés naturelles plutôt qu’aux qualités acquises. On ne devra donc s’étonner ni de la place relativement considérable qu’occupent dans ce tableau les disciples de Manzoni, ni des réserves quelquefois sévères que nous devrons faire sur la portée de leur talent.


II.

L’un des premiers, dans l’ordre des temps, sinon par le génie, c’est le poète national Berchet. Célèbre dès l’apparition de ses premiers chants patriotiques, Berchet a survécu à sa gloire. En 1853, lorsqu’il a cessé de vivre, on s’est récrié, on le croyait mort depuis longtemps. Il y a toujours dans ces retours de l’opinion une part de justice : c’est à la critique de dire ce qu’ils ont de légitime et d’exagéré. A sa naissance, Berchet n’avait reçu de la nature que cette somme de poésie qu’elle ne refuse à personne en Italie; c’est la générosité de son cœur, c’est le sentiment des maux de sa patrie, c’est la haine de l’étranger qui l’inspira. S’il n’écrivait qu’en vue d’un succès immédiat, il ne pouvait prendre une voie plus directe pour l’atteindre. En applaudissant à ses vers patriotiques, on remarquait à peine ou du moins on n’osait dire tout haut que la forme en était prosaïque, négligée, incorrecte, et que la pensée manquait d’élévation. La poésie, quand elle se fait acte, échappe, dans une certaine mesure et pour un temps, à la juridiction du goût. Berchet cependant n’est point indigne d’une sérieuse attention. Prosaïque et incorrect, il ne manque, à ses heures, ni de couleur ni d’énergie; sa simplicité est de bon goût, ses sentimens, quelquefois mélancoliques, sont toujours naturels et généreux. On est ému en le lisant; on aime à sentir et à penser comme lui. L’un de ses meilleurs et de ses plus considérables poèmes est le chant de Parga (I Profughi di Parga). Le succès en fut assez grand à son apparition pour tenter plus d’un traducteur français. Aujourd’hui notre sensibilité, blasée par des catastrophes plus lamentables, s’éveillerait à peine au récit des malheurs obscurs d’une bourgade de Thessalie livrée aux Turcs en 1819 par les Anglais, dont elle avait imploré le secours. La mode était alors à la Grèce. Soumis comme les Grecs au joug étranger, les Italiens s’associèrent sans peine à la douleur des Parguinotes :