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vieilli ; elle n’a ni l’accent pathétique de celle de Gluck, ni l’exquise délicatesse de celle de Mozart. Il faut ajouter encore que, depuis soixante ans, tout le monde a puisé à cette source féconde, et qu’il n’est pas étonnant que beaucoup d’effets si souvent imités nous paraissent aujourd’hui un peu trop familiers. L’exécution de la Création a laissé grandement à désirer. Ni l’orchestre, ni les chœurs n’ont été à la hauteur de la belle conception de Haydn, et excepté M. Stockhausen, qui est un grand artiste et qui a chanté dans la perfection la partie de notre premier père Adam, excepté une toute jeune personne, Mlle Dorus, qui s’est fort bien acquittée du rôle très difficile de l’ange. Gabriel, la Société des Concerts a montré dans cette circonstance plus de bonne volonté que de savoir. Le public a trouvé la séance un peu longue, et nous avons partagé son avis. Dans le programme du quatrième concert, nous n’avons remarqué que le trio des songes de l’opéra de Dardanus de Rameau, morceau curieux qui n’est pas indigne de l’attention de la critique, et les fragmens de la musique d’Egmont de Beethoven, dont nous nous dispenserons de faire l’éloge. Au cinquième concert, on a exécuté la symphonie en si bémol de Beethoven, les fragmens des Ruines d’Athènes, et la séance s’est terminée brillamment par le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn. M. Bonnehée, dont la belle voix de baryton n’est plus qu’un organe forcé et criard, a chanté à ce concert un air d’Anacréon de Grétry : « Laisse en paix le Dieu des combats, » avec tant d’exagération et de mauvais goût, que le public lui a témoigné son mécontentement d’une manière peu équivoque. M. Girard, le chef d’orchestre, en a paru blessé ; le public était dans son droit néanmoins, et il est à regretter qu’il n’en use pas plus souvent. Le septième concert, qui a été fort brillant, a commencé par la symphonie en ut mineur de Beethoven, dont l’exécution a été remarquable par l’ensemble et le fini des détails. Le duo des Nozze di Figaro de Mozart a été chanté ensuite avec grâce et distinction par deux élèves de M. Duprez, Mlle Marie Battu et Marimon, du Théâtre-Lyrique. La séance a fini par la symphonie en sol d’Haydn, ce génie inépuisable qui a tout tiré du néant.

Le neuvième concert, qui s’est donné le 17 avril, a été un événement. Rossini assistait pour la première fois à une séance du Conservatoire depuis son retour à Paris. Le public, averti de la présence du grand maître, s’est levé spontanément après l’Inflammatus, chanté avec plus de force que de sentiment par Mme Gueymard, et s’est mis à applaudir avec enthousiasme le plus grand compositeur dramatique des temps modernes. Après le finale du troisième acte de Moïse, indignement rendu, surtout par les chanteurs, la séance est restée suspendue pendant un quart, d’heure. Les loges, le parterre, l’orchestre et les chanteurs, tout le monde acclamait l’auteur incomparable de tant de chefs-d’œuvre merveilleux, qui pleurait de bonheur. Je n’ai jamais assisté à un pareil spectacle. À la fin du concert, Rossini, donnant le bras à M. Auber, fut accompagné et salué de nouveau par une foule enthousiaste, qui ce jour-là exprimait certainement les sentimens de la postérité.

Ne craignons pas de le redire chaque année, la Société des Concerts a grand besoin de sortir de l’immobilité où elle se complaît, de secouer la torpeur qui accable les membres de son comité. Ses programmes sont toujours