Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/1003

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acquis en un jour, et doublions pas le sens attaché à cette belle devise féodale : noblesse oblige.

C’est par les concerts du Conservatoire qu’il nous faut nécessairement commencer. Ils ont inauguré la trente-deuxième année de leur existence, le 9 janvier, par la symphonie en de Beethoven. On y a vivement applaudi un chœur agréable de l’Armide de Lulli :

Voici la charmante retraite
De la félicité parfaite,


que le public a fait recommencer, et qui ne perdrait rien de sa grâce naïve à être entendu à côté de celui de Gluck. Cette comparaison, que la Société des Concerts a le tort de ne point chercher à établir, ferait ressortir le génie créateur de Lulli sans nuire au chantre vigoureux qui est venu, cent ans après, refaire son œuvre. Après la symphonie en ut de Mozart, la séance s’est terminée par les chœurs d’Une Nuit de Sabbat de Mendelssohn, morceau chaleureux, d’une couleur vraiment fantastique. Le second concert n’a eu de remarquable que la symphonie en la de Beethoven, qui a été exécutée avec une perfection qui devient rare, et par un chœur du Paulus de Mendelssohn, d’un caractère simple et religieux ; mais le troisième concert, qu’on a entendu le 6 février, a été rempli tout entier par la Création du Monde d’Haydn. Je crois que cette grande composition n’avait pas été exécutée à Paris dans son intégrité depuis le fameux concert donné à l’Opéra le 24 décembre 1800, soirée mémorable par le complot de la machine infernale qui faillit tuer le premier consul Bonaparte. On sait dans quelles circonstances Haydn a écrit cette œuvre qui fait époque dans l’histoire de l’art. Lors de son premier voyage à Londres en 1791, le violoniste Salomon communiqua à Haydn les paroles d’une espèce de cantate sur la création du monde qui étaient d’un poète anglais, Lydlei. Haydn emporta ces paroles à Vienne, où elles furent traduites en allemand par le baron Van Swieten, bibliothécaire de l’empereur, homme instruit qui aimait et connaissait la musique. Van Swieten ajouta des airs, des duos et d’autres morceaux d’ensemble, et fournit ainsi au grand musicien un sujet qui convenait à son âme pieuse et sereine. Haydn se mit à l’ouvrage dès l’année 1793, et ne termina son œuvre qu’en 1798, répondant à ceux qui l’excitaient à aller plus vite : « J’y mets le temps, parce que je veux que cela dure. » La Création fut exécutée pour la première fois au palais du prince Schwarzenberg dans le courant de l’année 1799. Haydn conduisait lui-même l’orchestre. L’effet produit fut immense et se répandit promptement dans toute l’Europe. La Création est divisée en trois grandes parties. Les deux premières ont pour sujet les différens épisodes de la création tels à peu près que les rapporte la Bible, et ce thème un peu trop métaphysique a donné lieu à un développement excessif du style descriptif, qui était alors une grande innovation dans l’art musical. La troisième partie a pour sujet l’apparition de l’homme sur la terre, l’expression de ses premières joies et de ses premières douleurs. Aussi cette troisième partie nous a-t-elle paru supérieure aux deux autres, qui renferment, sans contredit, de grandes beautés, mais dont le coloris a été surpassé par les admirables poèmes symphoniques de Beethoven. D’ailleurs la mélodie de Haydn, pleine de grâce et de naturel, a un peu