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oasis sahariennes. Ainsi eussent été livrés à l’expérience les trois climats, les trois provinces, les trois zones cultivables de l’Algérie. Au lieu de cette mission scientifique, l’état, mal conseillé par ses préfets et ses généraux, s’avisa de multiplier les pépinières par douzaines, avec mandat d’opérer, non en vue des études seules, mais en vue d’approvisionner d’arbres toute la colonie. Les produits furent donnés d’abord gratuitement, puis cédés à vil prix. L’état prétendit devenir le principal pépiniériste de l’Algérie, et y réussit tellement bien qu’il en fut bientôt à peu près le seul. Devant sa concurrence, les pépinières privées fléchirent et tombèrent, non sans de vives, mais inutiles protestations. Les plantations particulières ou publiques n’en furent pas plus avancées : elles ne prospérèrent que dans les bulletins et les rapports officiels, car tout arbre donné est un arbre bientôt abandonné, et celui qui ne peut le payer à son prix ne peut le cultiver. La même décadence, juste expiation d’un monopole envahisseur, a frappé à leur tour les pépinières du gouvernement. Sauf celle du Hamma, qui doit à des causes exceptionnelles ses brillantes apparences, la plupart déclinent malgré les allocations de l’état, malgré la faveur des hauts fonctionnaires qui en font leurs jardins, leurs vergers et leurs parcs. L’état, qui voudrait aujourd’hui s’en défaire, trouve difficilement des fermiers ou des acquéreurs.

En fait de travaux publics, le chiffre et le rôle de l’armée se présentent tout d’abord à l’esprit. Frappés du contraste de la tranquillité générale et d’une armée de soixante-cinq mille soldats, quelques écrivains, pleinement confians dans l’étoile de la France, prêchent la réduction de l’armée au nom de l’économie, au nom de l’indépendance plus grande des élémens civils. Quoique bien rassurés sur l’avenir, nous pensons qu’il y a mieux à faire qu’à supprimer ou réduire une grande armée : c’est d’en tirer bon parti. Ports, routes, chemins de fer, barrages, canaux, puits artésiens, rien n’est au-dessus d’une force organisée de soixante-cinq mille hommes dans la vigueur de l’âge et de la discipline. Ajoutons-y le reboisement des montagnes, opération facile et simple, mais non le greffage des oliviers, mal à propos confié aux trois compagnies existantes de planteurs militaires, car c’est une pratique délicate et difficile que des colons seuls, habiles et intéressés, peuvent conduire avec économie et succès. Nous en excluons aussi le défrichement des terres et la construction des maisons, même des villages, opérations qui ne dépassent pas les efforts de l’industrie privée. L’armée doit intervenir dans les œuvres qui, pour être exécutées vite, bien et à bon marché, réclament l’emploi de la force collective de la compagnie, du bataillon, du régiment. Toute œuvre accessible à l’individu ou à la famille doit leur être laissée, sauf à leur permettre d’appeler le soldat comme auxiliaire lors des fauchaisons ou des moissons, par exemple.