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Joseph se laissa convaincre; il accepta le magnifique esclavage qu’on lui offrait. Il remplit, le jour du couronnement, les fonctions que le cérémonial lui attribuait. Sa femme s’y conforma aussi de bonne grâce; seulement, pour ménager les amours-propres, on employa dans le procès-verbal les mots : soutenir le manteau, au lieu de l’expression : porter la queue. Tel fut le dénoûment burlesque de ce différend, qui avait eu un moment un caractère presque tragique.


V.

Après avoir transformé en empire la république française, Napoléon s’occupa de changer en royaume la république d’Italie, qu’il gouvernait sous le titre de président. Il ne pensait pourtant pas d’abord à prendre pour lui-même cette seconde couronne. Pour des motifs divers, il voulait la donner à Joseph, qui, à ce prix, eût renoncé à son droit éventuel à l’empire, ce qui aurait concentré la succession dans la branche du prince Louis, dont le fils aîné était depuis longtemps, comme on l’a vu, l’héritier désigné dans la pensée de l’empereur. Joseph trouvait cette condition injurieuse et humiliante. Déjà une première fois il avait mal accueilli les ouvertures qu’on lui avait faites à ce sujet. M. de Talleyrand fut chargé de lui soumettre une proposition nouvelle, conçue dans un sens un peu moins absolu, qui n’exigeait plus de lui une renonciation formelle, mais qui au fond avait le même but, et devait, selon toute apparence, avoir le même résultat. Les amis de Joseph, M. Miot entre autres, le pressèrent vainement d’accepter ce qu’on lui offrait, de ne pas sacrifier le présent aux chances d’un avenir qui, suivant toute apparence, ne devait jamais se réaliser, puisqu’il était plus âgé que l’empereur, à qui la constitution donnait d’ailleurs le droit de se choisir un successeur en dehors de la ligne directe. Ces conseils ne firent aucune impression sur l’esprit du prince, qui considérait comme une sorte de lâcheté ce qu’on désirait de lui. Il refusa donc. L’empereur, très mécontent, pensa alors à donner la couronne d’Italie, non pas à Louis, mais à son fils, à cet enfant pour qui il rêvait de si hautes destinées, et que la mort ne devait pas tarder à enlever. Jusqu’à sa majorité, Louis aurait gouverné en son nom. Ce dernier repoussa de la manière la plus absolue une idée aussi étrange. « Tant que j’existerai, dit-il à l’empereur, je ne consentirai ni à l’adoption de mon fils avant qu’il ait atteint l’âge fixé par le sénatus-consulte, ni à aucune disposition qui, en le plaçant à mon préjudice sur le trône de Lombardie, donnerait, par une faveur aussi marquée, une nouvelle vie aux bruits répandus dans le temps au sujet de cet enfant. Je consens, si vous le voulez, à aller en Italie, mais à la condition que j’emmènerai