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ser aller toutes choses au hasard pour faire le bonheur de l’humanité. Il est clair que, si les peuples marchaient rapidement vers une perfection idéale, l’action des gouvernemens deviendrait de moins en moins nécessaire : leur autorité s’évanouirait doucement, comme à la longue celle des chefs de famille, laissant après elle comme un parfum de respectueuse reconnaissance. Les sociétés humaines n’en sont pas là, et dans l’œuvre qui reste à accomplir, on conçoit encore pour l’autorité une tâche active. Nous le voyons parce qui se passe en Russie : n’est-ce pas elle qui va donner la liberté?

La brusque émancipation de l’industrie ne serait pas sans danger dans nos sociétés, où l’inégalité d’instruction et de prévoyance est si grande. Dans les premiers momens, on verrait les masses abattues par la misère, trop ignorantes pour utiliser leur affranchissement économique, égarées, exploitées indignement en raison même du principe inauguré à leur profit. Le préservatif contre ce danger, c’est l’instruction franchement popularisée, et à cet égard les gouvernemens auraient à rendre des services inappréciables. La tâche à laquelle on a déjà consacré beaucoup d’intelligence et d’efforts semble à peine commencée, tant il reste à faire. A part l’Angleterre, les classes éclairées de l’Europe ont à peine l’idée du bien qu’elles feraient aux autres et à elles-mêmes en vulgarisant l’enseignement économique, ce grand art de lire dans la complication des intérêts; le riche et le pauvre y apprendraient que, même dans l’ordre des intérêts matériels, l’utile et le juste sont une seule et même chose pour chacun et pour tous. Rapport admirable et touchant! Imaginez un homme d’état aussi grand par le cœur que par la pensée, imbu d’études et de traditions, réunissant en lui tout ce qu’il y a de plus avancé et de plus fécond dans la théorie du gouvernement, et toute sa science le conduira à faire pour les peuples ce que fait tout simplement le père pour le fils, le frère pour le frère : donner l’instruction, et puis la liberté.

On trouvera peut-être que j’exagère la portée d’une doctrine qui se réduit au très petit nombre d’axiomes énoncés plus haut. Tel est le caractère des sciences exactes appliquées à la constatation des lois naturelles. Leurs cadres n’admettent que peu de faits, parce que la nature, simple dans son incessante action, n’a pas des procédés multipliés. L’habileté, fruit d’une longue expérience, consiste à voir la relation des lois primordiales avec les phénomènes complexes dont nous cherchons l’explication. Dans l’ordre économique, il serait curieux de montrer la solution des problèmes les plus importans découlant sans effort de quelques principes généraux; mais cela entraînerait à des développemens, à des justifications dont la place n’est pas ici. Je voudrais cependant indiquer, au moins par