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par les barrières intérieures, aux abus occasionnés par les jurandes et les maîtrises, et avec les physiocrates la science se résume dans ces quatre petits mots : laisser faire, laisser passer. En Angleterre, où grandit une classe industrielle à côté d’une agriculture privilégiée, Smith et ses disciples s’appliquent à prouver que l’industrie manufacturière est aussi productive de richesses. En Italie, où l’on aime à se rappeler la glorieuse indépendance politique conquise autrefois par le commerce, on accorde une importance suprême aux questions monétaires. L’Allemagne, tourmentée par le rêve de son unité nationale, voudrait inventer une économie politique allemande, ce qui serait aussi ingénieux qu’une chimie prussienne ou une physique bavaroise. Après les guerres de la révolution, l’industrie profitant du développement des arts pacifiques et gagnant chaque jour en importance, on se préoccupe des échanges internationaux, si bien que le libre échange devient aux yeux du public l’essence même de la science. En ces derniers temps enfin, l’économie politique, appelée comme auxiliaire par les classes qui se sentent menacées, prend bravement à partie les sectes socialistes, au risque de délayer ses théories dans une polémique de circonstance.

A toutes ces époques, je le répète, les tentatives faites pour constituer scientifiquement l’inspiration de Quesnay ont été diversement influencées par les tendances du moment. Certes je suis loin de méconnaître l’immensité du travail accompli depuis un siècle et les services rendus. Il y a eu une foule de traités généraux et de monographies de la plus haute valeur. Chez les maîtres, la perspicacité devient souvent du génie. L’école, prise dans son ensemble et sous ses drapeaux divers, a dissipé nombre de préjugés : elle a lancé en menue monnaie tout un trésor d’idées utiles; mais le temps aussi fait son œuvre éternelle : il élargit sans cesse la scène des événemens, et provoque ainsi des besoins intellectuels nouveaux. Les sociétés européennes, en faisant à l’industrie une place de plus en plus large, préparent pour l’économie politique une phase nouvelle. Il serait aussi déraisonnable, aussi dangereux de surexciter l’énergie industrielle sans corriger les mauvaises lois économiques qu’il serait difficile de fabriquer beaucoup avec des moteurs défectueux. Nous marchons donc probablement vers un temps où il faudra que la science, mieux comprise et suffisamment vulgarisée, cesse d’être une curiosité d’école pour devenir un principe social, une force active.

L’économie politique, dans son état actuel, répond-elle aux exigences de la situation? Elle a conquis beaucoup de vérités, mais est-elle en mesure de les produire avec cette netteté d’affirmation