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Impuissante à exporter au loin, la culture n’a pas cherché à produire chaque année un excédant à la consommation locale. Elle eût été fort exposée à garder cet excédant pour compte ou à ne l’écouler qu’à vil prix, en perte flagrante. Aussi s’est-elle trouvée au dépourvu chaque fois qu’une intempérie est venue répandre la stérilité sur nos champs. La disette a surtout été aggravée par le défaut de débit en temps ordinaire. Voilà en peu de mots dans quels erremens ont marché la production d’une part, la consommation de l’autre, isolées entre elles par des obstacles que lèveront les chemins vicinaux, les routes, les canaux, les chemins de fer, les bateaux à vapeur, — isolées également par des obstacles artificiels, des taxes de perception qui s’aplaniront aussi peu à peu. Dès qu’une vente avantageuse sera assurée à la culture en tout temps, les besoins de la consommation se trouveront garantis avec la plus grande régularité possible. Alors seulement la culture sera excitée à produire chaque année un excédant qui, en temps ordinaire, se répandra à l’étranger, et qui, retenu à l’intérieur par la moindre hausse, constituera la meilleure des réserves, et rejettera loin de nous dans le passé ces scènes lugubres de désordres que produisent et l’accaparement du blé et l’épouvante de la faim. C’est donc à tort que l’on attribue exclusivement l’état arriéré de la culture au manque de capitaux ou au défaut d’intelligence. Assurez-lui les facilités de transport d’abord, ensuite la liberté la plus entière de vente : alors la culture se constituera des capitaux, alors elle sera intelligente, alors elle secouera son découragement ; alors, active et ardente au progrès, elle déploiera des forces restées jusqu’ici inconnues ou méconnues.

Les variations dans les prix des céréales, que nous avons vues passer dans un très court espace de temps de 40 francs à 13 francs l’hectolitre, sont aussi funestes à la production qu’à la consommation. « Le laboureur ne fait bien ses allaires qu’à la cherté du blé, » a dit Montaigne ; je crois qu’il eût changé d’avis au spectacle de la culture dans cette dernière année. C’est que la cherté passagère est toujours suivie de l’avilissement du prix. Elle occasionne au fermier une augmentation dans son bail, qu’il n’est plus en état de supporter quand la baisse arrive, et lui apporte la ruine après un éclair de prospérité. Les propriétaires eux-mêmes sont atteints par le contre-coup de la cherté des grains ; ils sont obligés d’accroître le salaire des ouvriers agricoles, et ne peuvent plus les réduire quand le bon marché reparaît, alors même que leur revenu net a diminué jusqu’à devenir négatif. La hausse a surtout le funeste effet d’éblouir les gens de la campagne par les revenus inespérés qui leur sont momentanément procurés ; elle développe en eux outre mesure la passion des achats de terrains. Certes c’est un noble et