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de Léo, de Durante et de Jomelli, sont aussi beaux aujourd’hui que lorsqu’ils ont été conçus par le génie de ces maîtres immortels? La musique vieillit, comme toutes choses, dans ses parties accessoires, dans les détails de mise en scène, dans le costume extérieur et le coloris que revêt la passion, dans certaines formules où le temps et la mode marquent leur empreinte; mais des œuvres comme Alceste, Iphigénie, Orphée, Armide, qu’on chante partout en Allemagne; des merveilles comme Don Juan, les Nozze di Figaro, le Mariage secret, le Barbier de Séville, le Freyschütz, etc., sont et seront toujours jeunes. C’est le public qui vieillit, dont le goût se corrompt et finit par ne plus comprendre les beautés simples et grandioses, comme nous avons pu le constater à la Semiramide de Rossini.

Si l’auteur de Guillaume Tell avait retouché à Paris la partition de Semiramide comme il a revu celle de Moïse, nous sommes persuadé qu’il aurait écrit une autre ouverture. Celle qui existe, et que tout le monde connaît, n’est qu’une charmante fantaisie instrumentale qui pourrait être placée ailleurs sans grave inconvénient, parce qu’elle ne se rattache pas d’une manière suffisante à l’œuvre dont elle devrait résumer le caractère. L’introduction au contraire est d’une grande magnificence. Je ne connais rien de plus lumineux que ce motif de l’orchestre qui répand sur la scène et dans la salle une sonorité si ample et si joyeuse, pendant que le chœur chante, en accords plaqués, la gloire du dieu Belus? L’entrée successive d’Idreno, d’Assur et du grand-prêtre Oroë amène un trio pour un ténor et deux basses qui est un chef-d’œuvre d’expression dramatique et de beauté musicale, deux qualités que je veux toujours voir réunies et qui ne se rencontrent constamment que dans Mozart, dans Cimarosa et dans Rossini. Je repousse en musique la vérité laide, et, si le personnage que vous mettez en scène doit pousser des cris de démoniaque pour rester dans la vérité de son caractère, arrangez-vous de telle sorte que ce ne soit pas la voix humaine qui soit chargée d’exprimer les hurlemens d’Azucena. Il y a dans ce trio de l’introduction de Semiramide des successions d’harmonie d’une suprême élégance, surtout celle qui précède la conclusion, alors que la voix d’Assur descend du mi supérieur et vient heurter furtivement un ré dièse en bas appartenant à un accord de septième diminuée qui passe comme une ombre légère. Voilà des délicatesses que le public du Théâtre-Italien ne comprend plus, habitué qu’il est déjà aux cloches et au faux-bourdon de M. Verdi! Et le quatuor qui vient après entre Sémiramis et les autres personnages : Di tanti regi e popoli, comme c’est beau, splendide et d’un vaste horizon! L’allegro de ce beau morceau d’ensemble :

Trema il tempio infausto evento,


n’est pas très bien rendu par Mme Penco, dont la vocalisation est maigre et manque de force et d’homogénéité. Je passe sur la cavatine que chante Arsace, qui est plutôt un joyau de chanteur qu’un morceau de caractère, et j’en dis autant du duo qui vient après entre Assur et Arsace. Écrivant pour un public qui aime par-dessus toutes choses les sensualités d’une voix exercée, ayant sous la main les plus habiles virtuoses de son temps, Rossini a fait les concessions qu’a dû faire Mozart dans plusieurs morceaux de Don Juan et de la Flûte enchantée, concessions qu’ont faites également tous les